En faire tout un savon

Tu as déjà fabriqué du savon ?

Ma première fois, je m'en souviens comme si c'était hier.

J'avais 13 ans. C'était en 2ème secondaire.

J'étais en option sciences, avec une nouvelle prof pleine de motivation.

Je me souviens très bien de cette expérience, très chouette mais avec un côté décevant : on a fabriqué un "savon" (un truc blanc pas très appétissant), mais on n'a jamais pu l’utiliser, ni le ramener chez nous.

Et puis la vie a avancé, j’ai terminé mes études secondaires, j’ai terminé mes études de chimie, et un jour, j’ai vu passer une photo postée par mon ancienne prof de chimie, sur Facebook ; elle faisait de magnifiques savons chez elle.

C’est donc venu me titiller de nouveau… et si j’essayais, moi aussi, de faire mes propres savons ? En plus d’être trop classe, c’est écolo puisqu’on utilise que des ingrédients naturels, et c’est économique puisqu’on ne doit plus payer une fortune pour s’acheter du savon industriel, bien souvent vendu dans du plastique.

Il m’a encore fallu attendre quelques années avant de me lancer. J’ai investi dans un petit livre super bien fait et qui m’accompagne toujours : "Je crée mes savons au naturel - L’art de la savonnerie à froid". C'est un très bon livre qui explique en détails comment faire des savons, quels ingrédients utiliser pour la base du savon, qu'ajouter pour qu'ils prennent la couleur voulue, et quelle huiles essentielles utiliser.

Il y a aussi des recettes toutes faites pour commencer, et il est expliquer comment créer ses propres recettes. Il n'est plus disponible avec cette jolie couverture car il a été réédité, mais j'imagine qu'il est toujours aussi bien à l'intérieur ! Tu peux le trouver ici si tu veux.

Lors de ma première tentative, j’ai choisi une recette toute simple, sans colorant et sans huiles essentielles, juste pour voir si c’était vraiment si facile à faire. Et comme tout s’est bien passé, j’ai ensuite retenté l’aventure en choisissant d’autres recettes, en colorant mes savons avec divers colorants naturels comme le jus de carotte, l’argile, le paprika ou encore la spiruline, et en testant diverses huiles essentielles pour leur donner une bonne odeur.

Si tu ne sais pas du tout comment faire des savons, voilà la recette en 2 minutes :

Et voilà ! Rien de bien sorcier !

Le seul point d’attention, c’est l’utilisation du NaOH qui est potentiellement dangereux. Il faut bien manipuler avec des gants tout le temps, même lors de la vaisselle ou du démoulage, car la réaction prend très longtemps avant de se terminer et il y a donc toujours du NaOH présent au moment du démoulage. Il faut aussi absolument vérifier le pH du savon avant de l’utiliser, et accepter que, parfois, il faudra tout jeter à la poubelle si la recette n’a pas été réussie !

Et du coup, comme je suis prof de chimie, j’ai voulu tenter le coup avec mes élèves.

Pendant deux ans, j’ai pu profiter d’une activité proposée lors du Printemps des Sciences, cette semaine qui a lieu tous les ans en mars, et au cours de laquelle les universités et hautes écoles francophones de Belgique proposent plein d’activités gratuites pour les élèves et le grand public.

C’était l’UCL, l’Université Catholique de Louvain-La-Neuve, qui proposait une activité de chimie organique autour de la saponification et de l’estérification. J’ai donc amené mes élèves deux années de suite à cette activité, qui était superbement encadrée. La première année, les élèves n’ont pas pu ramener leur savon avec eux ; tout le monde était un peu triste, car quand on te vend que tu vas fabriquer du savon, tu espères évidemment repartir avec du savon. Mais la deuxième année, l’activité a été un peu modifiée, et chaque élève est reparti avec son petit savon !

Mais si je te parle de savons, c’est surtout car c’est une activité que tu peux réaliser toi-même avec tes élèves. Pas besoin d’avoir l’UCL pas loin de chez toi (en plus cette année, l’activité n’était plus proposée 😢), il te suffit d’avoir quelques plaques chauffantes, de la soude caustique, des thermomètres, une balance et du papier pH, et tu peux te lancer !

Pour le reste, je demande aux élèves d’apporter leur matériel. Il leur faut une casserole, une spatule, des moules (souples c’est mieux), des huiles ou graisses, un colorant, et des huiles essentielles s'ils veulent, mais c’est facultatif. Pour ceux qui ne savent vraiment pas acheter d’huile, j’achète une grande bouteille d’huile d’olive et un kilo d’huile de coco, pour avoir un stock de base au cas où. Il faut également apporter un mixer plongeant pour pouvoir mélanger de façon plus efficace qu’à la main (sinon ça peut prendre plusieurs heures à mélanger…). Mais a priori, c’est du matériel qui se trouve dans n’importe quelle cuisine.

Et d’un point de vue prix alors ?

La partie chère dans la fabrication du savon, ce sont les huiles essentielles. Si ton école a du budget, c'est super. Sinon, fais simplement des savons sans huiles essentielles, et ça ne te coûtera presque rien ! Les colorants peuvent être récupérés dans des armoires de cuisine. Il n'y a que la soude caustique qu'il te faudra probablement acheter. Je te mets le lien vers le site où j’achète la mienne, c’est sur le site “Aux petits bonheurs” qui est situé en Belgique, un kilo de soude dure plusieurs années et coûte environ 10€.

Si tu n’es pas encore très à l’aise et que tu veux commencer simplement avec tes élèves, tu peux imposer à tous de faire la même recette de savon. Pour la personnalisation, ils peuvent simplement apporter des colorants différents par exemple. Mais si tu te sens de laisser plus de liberté et de créativité à tes élèves, tu peux leur proposer de faire leur propre recette, de A à Z.

C’est ce que je fais avec mes élèves, en leur montrant le calculateur de saponification en ligne : https://soaphomemade.com/

C’est un site qui permet d’encoder directement les huiles que l’on souhaite utiliser et qui affiche directement les propriétés du savon ainsi obtenu. Il calcule également la quantité de soude à utiliser.

Le calcul de la quantité de soude pourrait être réalisé avec les élèves, sous forme de problème stœchiométrique. De mon côté, je fais le choix de ne pas prendre le risque d’une erreur, car si la quantité de soude est mal calculée, alors le savon sera inutilisable.

Je laisse donc le calculateur automatique faire, mais j’explique bien aux élèves la stœchiométrie de la réaction, et l’importance de mettre les huiles en excès et que la soude soit le limitant, afin de s’assurer que toute la soude a bien réagi et qu’il n’en restera plus du tout dans le savon final. Le fait de mettre “trop” d’huile par rapport à la soude est ce qu’on appelle faire du “surgraissage” ; dans une recette de savon, on indique le pourcentage de surgraissage, qui est généralement de 5 à 10% en fonction des recettes.

D’un point de vue pratico-pratique, il est tout à fait possible de faire des savons en deux périodes de cours d’affilée ; je le fais sur deux périodes de 45 minutes, donc sur 1h30. C’est un poil court pour certains groupes, qui doivent rester durant la récréation qui suit le cours pour terminer la vaisselle et le rangement, mais pour les groupes efficaces, ça passe sans problème. Comme chaque recette peut avoir un temps différent pour obtenir la trace, il faut essayer que les recettes créées par les élèves aient un traçage rapide si tu veux éviter de déborder.

Toutes les explications théoriques et la confection de la recette doivent également être réalisées à l’avance, car il n’y a pas le temps pour du blabla et des préparatifs si tu n’as qu’une heure et demie.

C’est un labo qui s’intègre parfaitement dans ton chapitre de chimie organique, lorsque tu parles de saponification. Tu peux également expliquer le fonctionnement d’un savon en parlant de micelles et en faisant des liens avec le cours de biologie, où ils devraient avoir vu les différents types de molécules du vivant, dont les lipides qui forment la membrane cellulaire.

Si jamais tu ne donnes pas ce cours-là, la fabrication de savons peut également être un projet de classe plus global à mener avec des élèves plus jeunes. Il faudra juste être encore plus prudent lors de l’utilisation de la soude, et tu devras peut-être faire toi-même cette partie-là, en fonction de l’âge des élèves.

Mais la fabrication de savons peut être un projet interdisciplinaire à mener en collaboration avec d’autres enseignants si tu as une équipe motivée ! Si tu génères une bonne quantité de savons, tu peux organiser leur vente au sein de ton école pour financer certains projets. Tu peux impliquer le cours de math ou de techno pour créer un programme qui va servir de calculateur de saponification. Tu peux demander au professeur de sciences humaines s’il est intéressant d’aborder l’histoire du savon. Tu peux envisager d’aller visiter une savonnerie s’il y en a près de ton école, ou de t’intéresser à un certain colorant ou une plante parfumée de ta région pour exploiter les ressources locales. Tu peux imaginer faire une petite étude de marché pour voir à quel prix vendre les savons en fonction des gains désirés. Bref, il y a plein de façons de relier différents cours autour d’un tel projet !

Si tu n'es toujours pas convaincue des bienfaits de faire des savons, je te donne encore quelques arguments :

Si tu n'as encore jamais testé, je n'ai qu'une chose à te dire : lance-toi !

Tu seras super fière d'avoir fait tes propres savons, et tes élèves aussi seront supers fiers !

Si tu es totalement perdu, je t'ai retranscrit la recette de savon la plus simple issue du livre “Je crée mes savons au naturel”. C'est la première que j'ai essayée, sans aucun ajout pour colorer ou parfumer, juste pour tester si ça fonctionnait. J'ai obtenu de supers savons pour les mains qui ont duré pendant des mois.

Alors, convaincue ?

Je compte sur toi pour que tes élèves se souviennent, eux aussi, de leur premier savon réalisé à l'école, tout comme je me souviens encore du savon que j'ai réalisé quand je n'avais que 13 ans !