Faut-il donner des devoirs à ses élèves ?

Aujourd’hui, je vais me plonger dans la question suivante : faut-il donner des devoirs aux élèves ?


Pour commencer sur de bonnes bases, je vais tout d’abord redéfinir ce que sont les devoirs ; les devoirs sont des tâches que les élèves doivent réaliser en dehors des heures de cours habituelles, donc à domicile (sauf s’il y a des moments prévus à l’école pour le faire (étude, soutien, etc), auxquels cas ils peuvent se faire dans l’enceinte de l’école, mais toujours en dehors des heures de cours). Ils permettent donc aux élèves d’avoir un temps d’apprentissage supplémentaire par rapport aux temps de cours.


Le but des devoirs serait de développer l’autonomie des élèves, de leur donner de bonnes habitudes de travail à domicile, et bien sûr d’apprendre mieux.


Quand on parle des devoirs, il y a deux camps très distincts ; ceux qui refusent d’entendre parler du fait de donner des devoirs aux élèves et qui veulent que tout se fasse en classe, et ceux qui donnent des devoirs à chaque cours et qui estiment que cela fait partie de l’apprentissage.


En général, ceux qui sont plutôt contre les devoirs avancent les arguments suivants :

  • ils peuvent perturber la vie de famille, empêcher les élèves de faire d’autres activités ou entraîner une surcharge de travail si l’élève a d’autres activités extrascolaires ;
  • ils ne permettent pas forcément de contribuer aux apprentissages, parce qu’ils sont trop nombreux ou, au contraire, trop peu nombreux, ou encore parce qu’ils ne sont pas bien conçus ;
  • ils ont un effet négatif sur le bien-être des élèves et peuvent générer du stress et de l’anxiété ;
  • ils augmentent les inégalités, car les élèves socio-économiquement défavorisés sont moins soutenus à domicile pour faire leurs devoirs ou n’ont pas un environnement propice à réaliser des devoirs chez eux.

De l’autre côté, ceux qui sont plutôt en faveur des devoirs avancent les arguments suivants :

  • ils permettent des temps d’apprentissage supplémentaires ;
  • ils permettent de voir plus de matière car la vitesse du cours peut être plus grande s’il y a des révisions à domicile ;
  • ils permettent de consolider les apprentissages en révisant entre les cours ;
  • ils permettent aux élèves de développer des compétences organisationnelles et de gestion du temps ;
  • ils permettent le développement de l’autonomie.


Pour essayer d’y voir plus clair, nous allons tout d’abord nous plonger dans ce que dit la recherche scientifique sur la question.


Selon la méta-analyse de l’équipe de John Hattie, dont je t’ai déjà parlé dans plusieurs autres épisodes, l’influence des devoirs a une valeur d’impact de 0,29, ce qui signifie que les classes qui ont des devoirs ont des résultats qui sont meilleurs de 15% par rapport aux classes qui n’en ont pas (d’autres sources disent 62%).


Pour rappel, la valeur d’impact (de 0,29 pour les devoirs) indique qu’un facteur a une influence négative sur les apprentissages si la valeur est négative, alors qu’une valeur positive correspond à un impact positif sur les apprentissages. Mais pour que l’impact soit réellement significatif, il faut que cette valeur dépasse 0,4. Donc ici, on n’y est pas…


Par contre, même si l’effet n’est que faiblement positif, le coût de mise en place des devoirs au sein d’une séquence d’apprentissage est très faible. C’est donc une technique facile à mettre en place.


Une autre chose à considérer, c’est que cette valeur d’effet est en réalité une moyenne de l’influence des devoirs donnés aux élèves de tous les âges. Si on regarde la valeur d’effet en fonction de l’âge, on retrouve une valeur de 0,15 pour les élèves du primaire et de 0,64 pour les élèves du secondaire. L’effet est faible en primaire car les élèves ont une plus faible capacité de concentration, ils ont plus de mal à faire abstraction des sources de distraction, ils n’ont pas encore acquis les bonnes habitudes de travail (par rapport aux élèves du secondaire) et ils sont plus dépendants du soutien parental car moins autonomes.


Mais il reste malgré tout intéressant de donner des devoirs en primaire pour que les élèves puissent prendre de bonnes habitudes de travail ; il vaut mieux un petit devoir tous les jours que pas de devoir du tout, ou qu’un gros devoir une fois par semaine. La durée préconisée pour les devoirs est de 10 minutes par jour en 1ère primaire, puis il faudrait augmenter de 10 minutes chaque année, pour atteindre 1 heure par jour en 6e primaire. En secondaire, le temps consacré aux devoirs continue d’augmenter, et peut dépasser deux heures par jour en fin de secondaire.


On peut également mesurer l’impact des devoirs en regardant le niveau des élèves en fin d’année scolaire. Différentes études montrent un gain d’apprentissage de 2 mois à 8 mois par année d’étude pour les élèves qui ont des devoirs. Cela signifie qu’après 6 ans d’études secondaires, les élèves qui ont eu des devoirs réguliers durant leur scolarité auront au minimum l’équivalent d’une année d’apprentissage en plus par rapport aux élèves qui n’ont jamais eu de devoirs, voire même plusieurs années. Ces grandes différences entre études suggèrent que la façon dont sont mis en place ces devoirs a une influence sur l’apprentissage des élèves.



Mais du coup, ça signifie quoi un devoir “bien conçu” ?


Pour qu’un devoir soit efficace d’un point de vue des apprentissages, il faut considérer quelques paramètres importants. Car des devoirs mal conçus ne permettront pas d’améliorer l’apprentissage et risquent même d’avoir un impact négatif. Voici quelques-uns des paramètres à considérer :


  • Donner une rétroaction : pour que les devoirs soient efficaces, il faut qu’il y ait une rétroaction de la part de l’enseignant (alors d = 0,83) ; il faut vérifier que les élèves ont fait leur devoir, assurer une correction et aider les élèves qui en ont besoin. Si le prof n’assure pas le suivi des devoirs qu’il donne, les bénéfices des devoirs vont disparaître et les élèves vont vite s’en désengager. Il ne faut pas forcément corriger personnellement les devoirs de tous les élèves, mais il faudrait au moins faire un tour de classe pour vérifier que chacun a fait son devoir, il faut fournir un correctif et il est nécessaire de s’assurer que chaque élève peut comprendre ses erreurs et les corriger.
  • Travailler ce qui a déjà été vu en classe : il ne faut donner comme travail à domicile que des choses qui ont déjà été exercées en classe de manière autonome, afin que les élèves puissent le reproduire à domicile avec un faible taux d’erreur → si on s’entraîne sur des erreurs, on ancre les erreurs !
  • Être conscient des inégalités : les devoirs ont toujours un impact plus important sur les “bons” élèves que sur les “mauvais” élèves, car les “bons” élèves comprennent mieux ce qui est attendu d’eux, ils feront moins d’erreurs et cet entraînement sera donc plus bénéfique pour eux.
  • Viser le surapprentissage : les devoirs doivent viser un entraînement supplémentaire, l’automatisation de procédures et le surapprentissage. On peut par exemple reprendre des exercices déjà faits en classe, mais les entremêler afin d’assurer un apprentissage plus en profondeur.
  • Format court et précis : idéalement, les devoirs doivent être courts, simples, précis et non cotés, afin d’éviter que les élèves se copient les uns les autres sans comprendre ce qu’ils font. Ils doivent devenir une routine pour l’élève et être planifiés sur un temps court.
  • Réfléchir à la planification : les devoirs doivent être inclus dans la stratégie d’apprentissage globale et doivent être préparés avec soin. C’est grâce aux devoirs que l’on peut ancrer les apprentissages à long terme dans la mémoire des élèves, en programmant une récupération en mémoire espacée dans le temps. On peut par exemple donner un devoir qui lie la matière vue en classe actuellement avec de la matière vue précédemment.
  • Réalisables en autonomie : les devoirs ne devraient pas impliquer les parents ; un des buts des devoirs est de développer l’autonomie des élèves. Le fait que les parents puissent vouloir trop s’impliquer va contre cette idée ; la pression des parents peut générer un stress supplémentaire chez les élèves, ce qui n’est pas bénéfique. L’unique rôle des parents devrait être de donner un environnement calme à l’élève pour qu’il puisse travailler, et pourquoi pas de répondre à quelques questions ponctuelles.
  • Révision de la matière vue : les devoirs doivent permettre aux élèves de revoir la matière vue en cours, ce qui permet de mieux l’ancrer, de faciliter la compréhension et donc de gagner du temps en classe, puisque le rythme du cours peut alors être augmenté.
  • Effet négatif possible : des devoirs mal planifiés ou mal structurés peuvent avoir un effet négatif sur l’apprentissage des élèves.
  • Laisser un choix : tous les élèves de la même classe ne sont pas obligés d’avoir toujours les mêmes devoirs : offrir des choix et tenir compte des intérêts, des acquis et des habiletés des élèves ainsi que du type de soutien qu’ils reçoivent à la maison dans les devoirs en proposant plusieurs options pour les devoirs.


Sachant tout cela, il y a certains types de devoirs qu’il faudrait éviter. Par exemple :

  • terminer des exercices à domicile parce qu’on n’a pas eu le temps de le faire en classe. Les élèves n’auront pas le support de l’enseignant pour comprendre comment surmonter leurs difficultés face à de la nouvelle matière, ils ne pourront donc pas réaliser leur devoir sans aide.
  • des tâches nouvelles ou de complexité plus grande qu’en classe, car ces tâches risquent d’être impossibles à réaliser sans aide à domicile, ce qui accentue les inégalités entre élèves, puisque certains élèves recevront de l’aide de leurs parents ou d’un professeur particulier, alors que d’autres devront se débrouiller seuls. De manière générale, il faut donc éviter toute tâche qui exige que l’élève se fasse aider.
  • toute tâche qui a des consignes non claires, car si l’élève ne sait pas exactement ce qu’il doit faire, il ne pourra pas réaliser le travail demandé. Il est donc important de prendre le temps de bien expliciter les attendus d’un devoir en classe, et de donner les consignes par écrit aux élèves.
  • des devoirs “punitions” suite à de mauvais résultats ou un mauvais comportement ; les devoirs doivent être vus comme un atout pour réussir et pas comme une punition.


À chaque fois que l’on donne un devoir à nos élèves, il faudrait donc avoir tous ces points en tête. En faisant des recherches pour écrire cet épisode, j’ai réalisé que certains devoirs que je donne ne sont probablement pas bénéfiques du tout pour mes élèves, et que je dois assurer un suivi plus rigoureux des “petits” devoirs que je leur donne, car je ne prends pas toujours le temps de vérifier que le devoir est fait et compris par tout le monde.


D’autres études ont cherché à mettre en relation le moment consacré à la réalisation des devoirs et l’impact sur l’apprentissage des élèves. On a pu montrer quelques corrélations intéressantes :

  • Le temps réel passé à travailler sur des tâches de résolution de problèmes lors des devoirs est positivement corrélé avec les résultats de l’élève.
  • Le temps autodéclaré passé sur des problèmes de devoirs n’est pas corrélé avec les résultats de l’élève.
  • Le temps consacré aux devoirs entre minuit et 4 heures du matin n’est pas corrélé avec les résultats de l’élève. Le travail de nuit ne semble donc pas avoir d’influence.
  • Le temps consacré aux devoirs dans les 24 heures précédant la date limite est négativement corrélé avec les résultats de l’élève.
  • Le fait de répartir le temps consacré aux devoirs en plusieurs sessions est positivement corrélé avec les résultats de l’élève.
  • Les résultats de l’élève sont positivement corrélés avec le nombre total de traits de stylo, d’équation, de diagramme, de rature, la quantité d’encre utilisée, le nombre total de problèmes tentés et le temps passé par problème.

Ce ne sont que des corrélations, pas des causalités, mais il est intéressant de noter que ce n’est pas simplement parce qu’un élève passe du temps à faire ses devoirs que cela sera bénéfique pour ses résultats ; il faut en plus que le moment consacré à faire un devoir ne soit pas dans les 24 heures précédant la remise de celui-ci, que le travail ne soit pas réalisé après minuit et qu’il vaut mieux réaliser son devoir en plusieurs sessions séparées dans le temps. De plus, le temps que les élèves ont l’impression de passer à faire leurs devoirs ne correspond pas au temps réel qu’ils consacrent à leurs devoirs ; les élèves n’ont donc pas une estimation correcte de leur temps de travail à domicile.


L’institution scolaire peut elle aussi mettre en place des choses pour aider à ce que les devoirs soient plus bénéfiques aux apprentissages des élèves :

  • Chaque école devrait se doter de règles claires concernant les devoirs et les faire connaître aux parents, aux élèves et aux enseignants.
  • Toute l’équipe éducative d’une école devrait se concerter afin d’équilibrer la charge de travail, d’éviter de surcharger les élèves mais également de veiller à leur donner une quantité minimale de travail à faire tous les jours. Chaque enseignant devrait donner de courts devoirs aux élèves, et augmenter petit à petit la longueur des devoirs au cours de l’année scolaire.
  • L’école peut veiller à mieux expliciter l’utilité des travaux à réaliser en dehors de la classe auprès des parents et offrir des outils aux parents pour que la supervision des devoirs devienne une activité plus agréable pour tous. (par exemple un guide pour les aider à organiser les devoirs à la maison ou encore des ateliers sur l’encadrement des devoirs). Il est intéressant d’expliquer leur rôle aux parents : ils peuvent aider leurs enfants à s’organiser, puis les laisser faire leurs devoirs de façon autonome.


On arrive au bout de ce que je voulais te partager aujourd’hui sur les recherches que j’ai faites. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il est essentiel pour les enseignants de réfléchir de manière critique à leur pratique en matière de devoirs.


Voici quelques points clés à retenir pour guider cette réflexion :

  • Impact des devoirs sur l'apprentissage : Bien que les recherches montrent un effet positif des devoirs sur les résultats des élèves, cet impact peut varier en fonction de divers facteurs tels que l'âge des élèves et la manière dont les devoirs sont conçus et mis en œuvre.
  • Conception des devoirs : Les devoirs doivent être soigneusement conçus pour être efficaces. Cela implique de fournir des tâches réalistes, répétitives et pertinentes, tout en tenant compte des besoins individuels des élèves.
  • Suivi et rétroaction : Assurer un suivi régulier des devoirs est essentiel pour maximiser leur impact. Les enseignants devraient fournir une rétroaction constructive aux élèves afin de les aider à comprendre leurs erreurs et à progresser.
  • Équilibre et diversité : Il est important de trouver un équilibre entre la charge de devoirs donnée et le temps disponible pour d'autres activités. Offrir une variété de types de devoirs peut également stimuler l'engagement des élèves et répondre à leurs besoins individuels.
  • Communication avec les parents : Impliquer les parents dans le processus de devoirs peut être bénéfique, mais il est important de clarifier les attentes et de fournir des ressources pour soutenir leur implication de manière constructive.

Les devoirs peuvent être un outil précieux pour renforcer les apprentissages des élèves, mais leur efficacité dépend largement de leur conception et de leur mise en œuvre. En tant que prof, nous devrions donc être attentifs à ces considérations et continuer à ajuster notre pratique pour garantir que les devoirs contribuent réellement à l'épanouissement académique et personnel de nos élèves.

Sources

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