Le concept d’équilibre dynamique en chimie

Le chapitre sur les équilibres chimiques, c’est un chapitre compliqué pour les élèves. Ils doivent comprendre un nouveau concept, qui vient à l’encontre de tout ce qu’on leur a expliqué en chimie jusque-là : les réactions chimiques, ce ne sont pas simplement des réactifs qui se transforment en produits tant qu’il y en a ; en réalité, les produits se retransforment aussi en réactifs, jusqu’à atteindre ce fameux “équilibre”. Cette fois, en plus de lutter contre des conceptions venues de l’extérieur de l’école, on doit modifier des préconceptions issues de notre enseignement des années précédentes… et ça, ce n’est vraiment pas simple.


En plus, le mot “équilibre” est un mot qui est utilisé dans plein de contextes, que ce soit dans la vie quotidienne ou en sciences, et qui donne aux élèves des idées préconçues sur ce qu’il peut vouloir dire. On parle d’équilibre entre sa vie pro et perso, de trouver “le bon équilibre”, d’avoir une alimentation équilibrée, on aborde le concept d’équilibre au cours de physique et de biologie, par exemple quand on parle des écosystèmes “en équilibre”. Bref, ce mot veut tout et rien dire.



Pour parcourir ce chapitre, j’ai déjà essayé plusieurs approches, plusieurs moments dans l’année et plusieurs façons d’aborder ce thème. Et je dois dire que je ne suis toujours pas à 100 % satisfaite de la compréhension de mes élèves en fin de chapitre, et donc il y a toujours une grosse marge de progression. Mais j’ai quand même décidé de partager l’évolution que j’ai suivie pour entamer ce chapitre, et là où j’en suis aujourd’hui.

Titre

Pour commencer ce chapitre, je pense qu’il faut de toute façon débuter par le fait qu’une réaction chimique, ce n’est pas toujours un processus complet. Si les élèves ne commencent pas par là, on ne peut rien faire !


Il faut donc trouver le moyen de leur montrer qu’une réaction peut évoluer des réactifs vers les produits, mais aussi des produits vers les réactifs. Il y a plusieurs façons d’y arriver :

  • soit on se lance dans une démonstration expérimentale,
  • soit on utilise une simulation,
  • soit on explique théoriquement comment ça se passe.


Comme ce point de départ est crucial pour la suite, je pense que le mieux, c’est d’essayer de faire une combinaison des trois.

Utiliser une expérience

Durant mes premières années, je pensais qu’une démonstration expérimentale serait la meilleure solution pour vraiment montrer aux élèves qu’une réaction peut aller dans les deux sens. L’expérience la plus connue consiste à faire la réaction entre le thiocyanate de potassium et le nitrate de fer (III) pour former un complexe de thiocyanate de fer, qui a une couleur rouge.

En ajoutant plus de nitrate de fer, on observe que la couleur devient plus intense, ce qui veut dire que plus de produit est fabriqué.

En ajoutant plus de thiocyanate de potassium, on observe le même changement, ce qui veut dire que plus de produit est fabriqué également. On montre ainsi que la réaction n’était pas complète, puisqu’en ajoutant un réactif, on a pu former plus de produit – c’est donc que le second réactif était encore présent.


Pour montrer que la réaction peut également se faire en sens inverse, on peut ajouter des pastilles de NaOH, qui vont précipiter les ions fer (III). On peut alors observer que la solution se décolore et qu’un précipité brun se forme. On peut également ajouter des cristaux de nitrate d’argent, qui vont cette fois précipiter le thiocyanate, en décolorant de nouveau la solution.


Certaines années, j’ai choisi de faire la démonstration moi-même devant les élèves, et d’autres années, j’ai choisi de faire manipuler les élèves en petits groupes. Mon expérience (et le retour des élèves), c’est que lorsque les élèves manipulent eux-mêmes, ils sont beaucoup moins dans la réflexion et dans la compréhension. Ils font “joujou”, ils s’amusent et ils suivent “bêtement” le mode opératoire sans vraiment comprendre ce qu’ils font. Les élèves me l’ont d’ailleurs dit eux-mêmes par la suite : “peut-être que ça aurait été mieux de d’abord voir la théorie et de faire l’expérience après, pour qu’on puisse vraiment comprendre ce qu’on fait.”


Il existe une autre petite démonstration plus rapide à faire et encore plus visuelle, mais qui ne peut être réalisée qu’en démonstration, car les élèves ne peuvent pas manipuler un des produits utilisés : le chlorure de cobalt. Dans cette démo, on dissout un peu de chlorure de cobalt dans de l’éthanol, ce qui donne une solution bleue contenant un complexe de cobalt : le [CoCl₄]²⁻. En rajoutant quelques gouttes d’eau, la solution devient rose, car il y a formation du complexe [Co(H₂O)₆]²⁺. En ajoutant de l’eau, le complexe contenant du chlore se transforme pour devenir le complexe contenant de l’eau, et la couleur passe du bleu au rose. Cette réaction peut être facilement inversée en modifiant la température, et le changement de couleur est assez spectaculaire : en chauffant la solution, elle devient bleue, et en la refroidissant, elle devient rose. On peut répéter l’opération plusieurs fois d’affilée sans souci. Cela montre bien que la réaction peut évoluer dans les deux sens, et c’est très visible d’un point de vue des couleurs.


Le souci, c’est que même avec une jolie démo, on ne “voit” pas la réaction aussi facilement que ça. Tout ce qu’on peut observer, ce sont des changements de couleur. Et c’est l’interprétation correcte de ces changements de couleur qui permet d’expliquer aux élèves qu’une réaction peut aller dans les deux sens.


D’expérience, je n’ai jamais réussi à faire passer ça facilement aux élèves. Soit je m’y prends mal, soit ce n’est pas une super méthode. Et en lisant des études sur le fait d’utiliser des expériences pour faire comprendre des concepts théoriques complexes, ce que j’ai lu ne m’a pas encouragée à continuer cette approche. Commencer par une expérience pour faire découvrir un nouveau concept théorique aux élèves, ce n’est pas l’idéal si l’expérience ne met pas clairement et directement en évidence ce nouveau concept. Et, dans notre cas, je ne trouve pas ça spectaculaire comme expérience.


Du coup, j’ai testé une autre méthode : l’utilisation d’une simulation.

Une simulation pour mieux comprendre

Lorsque je réalisais ma thèse, une mémorante travaillait sur le concept d’équilibre chimique et la difficulté à l’enseigner. Au cours de son mémoire, elle a trouvé une chouette simulation, décrite dans la littérature, qui ressemblait à un petit jeu pour montrer aux élèves ce qui se passe durant une réaction qui atteint l’équilibre chimique. Je me suis donc dit que j’allais tester cette idée-là.


Cette simulation, ça s’appelle le “Game of Lees”. Je ne sais pas d’où vient ce nom, mais je l’ai gardé. L’idée de ce jeu, c’est de modéliser les réactifs et les produits d’une réaction chimique avec 49 cartes de couleurs. Chaque carte a une face rose et une face blanche (ou n’importe quelle autre paire de couleurs – j’ai choisi ces deux couleurs car j’avais des feuilles roses d’un côté et blanches de l’autre à disposition, qu’il m’a suffi de découper pour créer 49 cartes carrées).


La face rose représente le réactif et la face blanche représente le produit. La réaction simulée est très simple : un réactif “rose” se transforme en un produit “blanc”.


Au début de la réaction, il n’y a que des réactifs ; on place donc toutes les cartes face réactif visible (donc face rose visible). La réaction commence alors, et lorsque les réactifs ont assez d’énergie, ils se transforment en produits : on retourne la carte pour que la face blanche soit alors visible. Il faut alors donner une valeur aux élèves pour qu’ils sachent combien de réactifs ont assez d’énergie pour se transformer ; par exemple, 1/4 des réactifs peuvent se transformer en produits. On fait le calcul : 49 divisé par 4, ça donne 12,25. On arrondit toujours vers le bas, ce qui donne 12 molécules de réactifs qui ont assez d’énergie pour se transformer en produits. On retourne donc 12 cartes.


Et puis on recommence le même processus avec les cartes sous nos yeux ; il reste 37 cartes réactifs, on peut transformer le quart en produits, donc 9. Mais maintenant, il y a aussi des cartes produits ! Et les produits peuvent également se transformer en réactifs, avec une certaine quantité d’énergie. Prenons comme exemple qu’un tiers des produits a assez d’énergie pour se transformer en réactifs. Sur nos 12 cartes produits, on aura donc 4 molécules qui vont se transformer en réactifs.


À chacun des “cycles” de réaction, on va donc pouvoir calculer combien de réactifs se transforment en produits et, au même moment, combien de produits se transforment en réactifs. En notant bien toutes ces valeurs, on va pouvoir tracer un graphique de l’évolution de la quantité de réactifs et de produits au cours du temps. Et, si on fait suffisamment de cycles à cette réaction (il en faut moins de 10), on va se rendre compte qu’à un moment, le nombre de réactifs et le nombre de produits n’évoluent plus ; ils restent constants au cours du temps.


C’est le moment où on voit le franc qui tombe chez les élèves ; ils ont compris ce que veut dire “l’équilibre chimique”. Et j’ai vraiment vu cette petite étincelle s’allumer dans les yeux de beaucoup d’élèves, qui se lancent dans cette simulation sans trop comprendre ce que je leur veux au début, jusqu’à arriver à ce stade d’équilibre.

Pour bien saisir le concept, je leur fais ensuite rejouer une partie en démarrant avec uniquement des produits. Et une troisième partie où ils mettent le nombre de réactifs et de produits qu’ils veulent au départ. L’idée est de leur faire comprendre que, même en changeant les conditions initiales de la réaction chimique, l’équilibre atteint sera toujours le même.


Et pour pousser la simulation encore plus loin, je donne des règles de départ différentes à chaque groupe d’élèves ; dans mon exemple, un quart des réactifs avait l’énergie de se transformer en produits, et un tiers des produits avait l’énergie pour se transformer en réactifs. Eh bien, pour chaque groupe, je fais varier ces valeurs. Un deuxième groupe aura les valeurs inversées (un tiers pour les réactifs et un quart pour les produits), un autre groupe aura des valeurs différentes (la moitié des réactifs et un cinquième des produits) et un quatrième groupe aura ces valeurs, mais inversées. En faisant cela, et en mettant les valeurs en commun ensuite, on peut mettre en évidence différents équilibres en fonction de la réaction simulée.


J’adore vraiment cette simulation, et je l’utilise toujours depuis que je l’ai découverte. Mais il y a quand même une question qui restait encore sans réponse quand les élèves me la posaient : pourquoi est-ce que, tout à coup, on peut dire que les produits se transforment en réactifs, alors qu’avant, on avait toujours dit que ça n’était pas possible ?


Toujours pas satisfaite, j’ai testé la troisième option possible : expliquer théoriquement ce qui se passe.

Pourquoi une réaction chimique a lieu

Cette fois, je me suis dit que j’allais tester de la théorie pure pour commencer, en faisant comprendre aux élèves ce qui se passe d’un point de vue microscopique, au niveau moléculaire, quand une réaction a lieu. Et le moment où le chapitre sur les équilibres chimiques est donné tombe bien, puisqu’il devrait arriver après avoir abordé la thermochimie !


En thermochimie, on explique aux élèves comment calculer l’énergie absorbée ou libérée lors d’une réaction chimique, en utilisant des tables d’enthalpie de liaison. Ils devraient donc savoir que pour casser une molécule, on casse les liaisons entre les atomes de cette molécule, ce qui nécessite de l’énergie. Puis, pour former une autre molécule (le produit de réaction), on crée d’autres liaisons entre atomes, ce qui libère de l’énergie. S’il faut moins d’énergie pour casser les réactifs que la quantité d’énergie libérée lors de la formation des produits, alors la réaction est exothermique : elle libère globalement de l’énergie. Les élèves comprennent assez facilement que ce type de réaction est spontané, puisqu’elle donne des produits qui sont plus stables que les réactifs. Et comme je le répète de nombreuses fois dans mon cours de chimie, la nature a toujours tendance à aller vers les choses les plus stables de manière spontanée.


Le souci, c’est qu’il existe aussi des réactions endothermiques, qui produisent des molécules moins stables que celles qui étaient présentes au début de la réaction. Et certaines de ces réactions sont spontanées elles aussi. Mais du coup… pourquoi le sont-elles ?


C’est à ce moment-là que j’introduis la notion d’entropie (ou de désordre). Il n’y a pas que le fait d’être stable qui est important dans l’univers. Le désordre est aussi très important. Et c’est d’ailleurs le deuxième facteur de spontanéité d’une réaction chimique.

Comme il y a deux facteurs pour déterminer si une réaction est spontanée, on peut se retrouver dans plusieurs cas de figure :

  • Les deux facteurs sont favorables à la réaction : c’est parfait et la réaction chimique sera complète.
  • Les deux facteurs sont défavorables à la réaction : la réaction n’aura pas lieu dans ce sens – elle est alors complète, mais dans le sens inverse.
  • Un facteur est favorable et l’autre est défavorable : il y a compétition entre les deux facteurs… La réaction peut donc se faire dans le sens normal, mais aussi dans le sens inverse !


Avec cette explication, les élèves peuvent enfin comprendre pourquoi certaines molécules peuvent réagir ensemble et d’autres pas, et pourquoi certaines réactions vont être complètes alors que d’autres vont atteindre un équilibre.


On peut même aller un peu plus loin dans la théorie pour leur faire comprendre que l’équilibre chimique est un équilibre dynamique.

Pour cela, imaginons qu’on regarde ce qui se passe lorsque nous mélangeons du diazote avec du dihydrogène, ce qui va former de l’ammoniac. Au début de la réaction, comme il n’y a que des réactifs en présence, la seule réaction possible est la synthèse de l’ammoniac dans le sens direct. La réaction inverse est pour l’instant impossible. On peut traduire cela en disant que la vitesse de la réaction directe est grande, alors que la vitesse de la réaction inverse est nulle.


Par la suite, dès qu’une molécule d’ammoniac est formée, les quantités de réactifs diminuent, les chocs entre molécules permettant la formation d’ammoniac sont donc moins nombreux, et la vitesse de la réaction directe diminue.


La vitesse de la réaction directe va donc petit à petit diminuer, avec la consommation des réactifs. En même temps, dès qu’une molécule d’ammoniac est formée, la réaction inverse peut démarrer. Au départ, comme il y a très peu de molécules d’ammoniac, la vitesse de la réaction inverse est très faible. Plus la quantité d’ammoniac augmente, plus la vitesse de la réaction inverse augmente.


À un moment donné, la vitesse de la réaction directe et celle de la réaction inverse vont être égales. Cela veut dire qu’il y a alors autant de réactifs transformés en produits que de produits transformés en réactifs. D'un point de vue extérieur, il n’y a donc plus aucun changement de quantité au sein de la réaction, bien que les deux réactions aient encore lieu. C'est ce qu’on appelle un équilibre dynamique. D’un point de vue microscopique, les deux réactions ont encore lieu, à des vitesses égales, mais d’un point de vue macroscopique, la réaction semble s’être arrêtée.


Cette façon de faire, beaucoup plus théorique, laisse cependant un paquet d’élèves de côté. Ceux qui ont besoin de concret et de tester par eux-mêmes pour vraiment appréhender le concept ne sont pas ravis de cette approche…

Trois approches en une

En conclusion, quand le temps me le permet, j’essaie maintenant d’utiliser les trois approches possibles ensemble : expliquer théoriquement ce qui se passe, montrer une expérience et l’interpréter avec les élèves, et réaliser une simulation avec le Game of Lees.


Ces trois approches permettent aux élèves d’appréhender les trois mondes de la chimie : le microscopique (en comprenant ce qui se passe d’un point de vue moléculaire), le macroscopique (en observant une réaction chimique réelle) et le symbolique (en simulant une réaction). Ces trois facettes de la chimie sont souvent mises en évidence dans les recherches en didactique de la chimie comme étant une porte d’entrée pour faciliter la compréhension des élèves. Mettre en parallèle ces trois facettes permet de mieux faire le lien entre elles. Les élèves peuvent alors avoir une vue plus claire et mieux appréhender le concept qu’on veut leur apprendre.



Finalement, c’est chouette de me dire qu’avec mes petits tests dans mes classes, j’en arrive à la même conclusion !




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