Le smartphone en classe : allié ou ennemi ?

Aujourd'hui, on s'attaque à un sujet brûlant : le smartphone en classe. Est-il plutôt un allié pédagogique révolutionnaire ou un dangereux ennemi de la concentration ? Dans cet épisode, on va explorer les multiples facettes de cette relation complexe entre élève, smartphone et enseignant.


Le Smartphone : Un couteau suisse numérique... à double tranchant ?


On ne va pas se mentir, le smartphone a révolutionné nos vies, et l'éducation n'y échappe pas. C'est une mine d'informations à portée de main, un outil de collaboration puissant, une source d’applications qui peuvent nous servir durant nos séquences de cours, et une plateforme d'apprentissage multimédia incroyable.


Qui n’a pas déjà utilisé le smartphone des élèves pour leur permettre de faire des recherches, de répondre à des quiz numériques qu’on leur a préparé, pour profiter de certaines applications qui nous permettent par exemple de faire des mesures, des simulations ou d’autres possibilités éducatives qui nous semblent pertinentes pour nos cours ?


Mais attention, le revers de la médaille existe bel et bien. Derrière son potentiel pédagogique se cache une source de distraction redoutable, capable de transformer une classe studieuse en un véritable champ de bataille pour l'attention des élèves.


Et le pire, c'est que le smartphone n'a même pas besoin d'être allumé pour impacter notre cerveau. Le simple fait de savoir qu'il est là, à portée de main, suffit à déclencher ce que les scientifiques appellent la "fuite de cerveau".


En gros, notre cerveau est tellement habitué à réagir à cet objet familier et stimulant qu'il lui consacre une partie de ses ressources, même lorsqu'on essaie de se concentrer sur autre chose. C'est comme si une partie de notre matière grise était constamment "aspirée" par ce trou noir numérique ! Et ce phénomène ne concerne pas uniquement nos élèves ; nous sommes toutes et tous concernées.


Notre cerveau est en fait constamment en quête d'informations et de stimuli. Le smartphone, par sa capacité à le connecter au monde entier et à lui offrir un accès instantané à une multitude de distractions, est devenu un véritable aimant pour notre attention. Cet objet du quotidien, si familier et addictif, a su, au fil du temps, façonner nos habitudes et nos réflexes. Ainsi, même lorsque nous nous efforçons de le délaisser pour nous concentrer sur une tâche, une partie de notre cerveau reste en alerte, à l'affût de la moindre notification, du moindre signal provenant de cet écran lumineux.


Ce phénomène, baptisé "fuite de cerveau" par les scientifiques, s'explique par le fait que notre cerveau, face à une quantité limitée de ressources attentionnelles, est contraint de faire des choix. Or, le smartphone, par sa capacité à générer des notifications, des alertes et des informations en continu, est perçu par notre cerveau comme un élément hautement prioritaire.


Ainsi, même lorsque nous ne sommes pas activement en train de consulter notre téléphone, une partie de nos ressources cognitives est mobilisée pour surveiller, inconsciemment, l'apparition potentielle d'un message, d'un appel ou d'une notification. C'est comme si une partie de notre matière grise était constamment "mise en attente", prête à être sollicitée par le smartphone.


Cette "mise en attente" a un coût : elle réduit la quantité de ressources cognitives disponibles pour se concentrer sur la tâche en cours. En conséquence, nos performances s'en ressentent : nous avons plus de mal à mémoriser des informations, à résoudre des problèmes, à faire preuve de créativité ou à rester concentrés sur une longue période.


Pire encore, plus nous sommes dépendants de notre smartphone, plus cet effet de "fuite de cerveau" est important. Notre cerveau, habitué à être constamment stimulé par les notifications et les informations provenant de notre téléphone, a de plus en plus de mal à se concentrer sur des tâches moins stimulantes.


Il est intéressant de noter que ce phénomène se produit même lorsque le smartphone est éteint ou hors de notre champ de vision. Le simple fait de savoir qu'il est à portée de main, prêt à être consulté à tout moment, suffit à déclencher cette "fuite de cerveau".


L'étude de Ward et ses collègues, menée en 2017, a démontré que la simple présence d'un smartphone, même éteint et posé face cachée sur un bureau, réduit les capacités cognitives des participants.


Lors de cette étude, trois groupes d'étudiants ont été constitués, chacun étant soumis à une condition différente concernant la présence de leur smartphone personnel :

- Smartphone visible sur le bureau, tourné vers le bas.

- Smartphone placé dans une poche ou un sac.

- Smartphone placé dans une pièce séparée.


Avant de réaliser des tests cognitifs, les participants de tous les groupes devaient mettre leur téléphone en mode silencieux complet.


Les résultats de l'étude ont révélé que:

  • La simple présence du smartphone a un impact négatif sur la capacité de la mémoire de travail et l'intelligence fluide, même lorsque les participants n'utilisent pas leur téléphone et déclarent ne pas y avoir pensé.
  • Cet effet négatif est observé même lorsque le smartphone est éteint et hors de vue (dans une poche ou un sac), ce qui suggère que le simple fait de savoir que l'appareil est à proximité suffit à mobiliser des ressources cognitives.
  • Plus les participants sont dépendants à leur smartphone, plus l'impact de sa présence sur leurs performances cognitives est important.


C'est comme si notre cerveau ne pouvait s'empêcher de penser à la possibilité, toujours présente, de se connecter au monde numérique, quitte à sacrifier une partie de ses capacités cognitives pour cela.


Ces résultats soulignent l'importance de se séparer physiquement de son smartphone lorsque l'on souhaite mobiliser pleinement ses capacités cognitives.


Pour nos élèves, les conséquences de la présence de leur smartphone, que ce soit sur leur banc, dans leur poche ou dans leur sac, sont une baisse de la concentration, une capacité d'apprentissage réduite ou encore des difficultés à mémoriser... Bref, le cocktail parfait pour un échec scolaire !


On a vu également que plus une personne est dépendante de son smartphone, plus cette “fuite du cerveau” est marquée. Plus on est accro, plus on est sensible à la présence de son smartphone, plus il nous pompe notre énergie mentale. C’est un véritable cercle vicieux!


Le problème, c'est que cette dépendance est devenue la norme chez les jeunes. On consulte son téléphone en moyenne 85 fois par jour, dès le réveil jusqu'au coucher, voir même pendant la nuit.

Cette habitude est révélatrice d'une relation forte à ces appareils et certains chiffres témoignent de l'emprise du smartphone : 91% des personnes interrogées affirment ne jamais quitter leur domicile sans leur téléphone et 46% disent ne pas pouvoir s'en passer.

Difficile dans ces conditions de résister à l'appel du numérique, même en classe !


Le syndrome de la vibration fantôme

Un autre effet de notre dépendance aux smartphones et de notre hypervigilance vis-à-vis de celui-ci est le syndrome de la vibration fantôme.


Ce phénomène se traduit par la sensation erronée que son téléphone vibre alors qu'il ne le fait pas. Loin d'être anecdotique, il toucherait une grande partie des utilisateurs de smartphones : près

L'hypervigilance, et donc le syndrome de la vibration fantôme, trouve son origine dans le rôle central que jouent les smartphones dans nos vies et l'importance que nous leur accordons.


Les smartphones sont devenus des outils indispensables pour communiquer, s'informer, se divertir, etc. Notre cerveau les considère donc comme des sources d'informations cruciales, ce qui les place en tête de nos priorités attentionnelles.


Même lorsque nous ne sommes pas activement concentrés sur nos téléphones, notre cerveau continue de surveiller inconsciemment tout signal provenant de ces derniers, comme une vibration ou une notification.


L'hypervigilance se manifeste lorsque notre cerveau interprète de manière erronée des stimuli sensoriels anodins (frottement de vêtements, contraction musculaire, etc.) comme étant des signaux provenant de notre téléphone.


Les recherches indiquent que le syndrome de la vibration fantôme est d'autant plus fréquent chez les personnes ayant une forte dépendance à leur smartphone. Plus nous accordons d'importance à notre téléphone, plus notre cerveau est enclin à l'hypervigilance et à interpréter de manière erronée les signaux sensoriels.


Le syndrome de la vibration fantôme illustre l'impact profond des smartphones sur notre cerveau et notre attention. Il souligne l'importance de développer un usage raisonné et équilibré de ces appareils afin d'éviter une hypervigilance constante et ses effets potentiellement néfastes sur notre bien-être et notre capacité à nous concentrer.



Le smartphone, un frein à la réussite scolaire

Lorsqu’on se focalise sur les effets du smartphone en situation scolaire, les études scientifiques réalisées confirment malheureusement les effets négatifs de celui-ci sur les résultats scolaires : il y a effectivement une corrélation négative entre l'utilisation du smartphone en classe et les résultats scolaires.

Les élèves qui utilisent leur téléphone pendant les cours ont tendance à avoir des notes plus basses, à prendre des notes de moins bonne qualité et à avoir une moins bonne compréhension des concepts.


Le smartphone, en plus de détourner l'attention, peut également nuire à la qualité du sommeil, augmenter le stress et l'anxiété, et favoriser la sédentarité. Autant de facteurs qui impactent négativement la réussite scolaire.



Alors, quelles solutions ?

Face à ce constat, que peut-on faire dans nos écoles et dans nos classes pour lutter contre l’attrait du smartphone ?


Interdire totalement le smartphone en classe est-il la solution ? Pas forcément. Il est important de trouver un équilibre entre l'exploitation de son potentiel pédagogique et la limitation de ses effets néfastes.


L'interdiction totale peut sembler une solution radicale, mais elle est souvent présentée comme une mesure efficace. Plutôt que de totalement interdire le smartphone dans les écoles, il pourrait être plus pertinent de créer des espaces et des moments sans smartphone, notamment pendant les cours. Concrètement, cela peut se traduire par :

  • Des règles strictes d'utilisation, avec des sanctions claires en cas de non-respect.
  • Des casiers ou pochettes de rangement pour les téléphones pendant les cours.
  • Des zones sans smartphone dans l'enceinte de l'école.


Cependant, cette solution est à nuancer. En effet, une séparation brutale et inattendue du smartphone peut générer de l'anxiété chez les élèves. Il est donc important de la mettre en place progressivement et de manière pédagogique, en expliquant aux élèves les raisons de cette démarche.


La séparation physique ne doit pas être la seule solution. L'éducation à un usage responsable et raisonné des smartphones est primordiale. Il s'agit de :

  • Sensibiliser aux risques de la dépendance et de la surcharge informationnelle.
  • Développer l'esprit critique face à l'information en ligne.
  • Promouvoir un usage équilibré des technologies numériques.


Il est important d'accompagner les jeunes dans leur découverte du monde numérique. Plutôt que de diaboliser le smartphone, il faut leur donner les clés pour en faire un outil au service de leur apprentissage et de leur épanouissement personnel.


La problématique des smartphones à l'école s'inscrit dans un débat plus large sur la place des technologies numériques dans nos vies. L'objectif n'est pas de revenir en arrière, mais bien d'apprendre à utiliser ces outils de manière responsable et équilibrée. C'est un défi qui concerne l'ensemble de la société, et l'école a un rôle crucial à jouer dans ce domaine.


Sensibiliser les élèves aux enjeux d'une utilisation responsable, leur apprendre à gérer leur temps d'écran, à identifier les moments propices à la déconnexion, et à développer des stratégies pour résister aux distractions, voilà des pistes pour les aider à construire une relation saine et équilibrée avec le numérique.


Le smartphone en classe n'est pas une fatalité. En encourageant une utilisation consciente et raisonnée, il est possible de transformer cet outil potentiellement néfaste en un véritable allié de l'apprentissage.


Pour que cette gestion soit facilitée, il est primordial que l’établissement scolaire dans son ensemble ai une politique générale de gestion du smartphone.


Pour te donner un exemple, dans mon école, les smartphones sont interdits dans l’ensemble de l’établissement. Ils doivent être éteints et rangés dans le sac de l’élève. Si un enseignant croise un élève qui utilise son smartphone, il le confisque directement. L’élève devra aller le récupérer en fin de journée chez les éducateurs. En cas de récidive régulière, l’élève peut être amené à devoir déposer son téléphone chez les éducateurs tous les matins, de lui-même, et aller le récupérer le soir, pendant une durée déterminée (une semaine, un mois…).


Depuis l’année passée, des pochettes de rangement sont présentes dans tous les locaux de l’école. A chaque cours, les élèves doivent déposer leur téléphone dans une pochette. Dans ma classe, nous avons mis en place des étiquettes nominatives sur chaque pochette, ce qui permet à chaque élève d’avoir sa pochette personnelle. Ces étiquettes permettent en plus à l’enseignant de faire facilement les présences, ou de voir quel élève n’a pas déposé son téléphone, puisque seuls les noms des pochettes dans lesquelles il n’y a pas de téléphone sont visibles.


Durant les cours, si un enseignant a besoin des smartphones des élèves pour une utilisation pédagogique, il est tout à fait possible de les utiliser.

Sources

  • Amez, S., & Baert, S. (2020). Smartphone use and academic performance: A literature review. International Journal of Educational Research, 103, 101618.
  • Andrews, Sally, David A. Ellis, Heather Shaw, and Lukasz Piwek (2015), “Beyond Self-Report: Tools to Compare Estimated and Real-World Smart- phone Use,” PLoS One, 10 (10), 1–9.
  • Brailovskaia, J., Delveaux, J., John, J., Wicker, V., Noveski, A., Kim, S., Schillack, H., & Margraf, J. (2023). Finding the “sweet spot” of smartphone use: Reduction or abstinence to increase well-being and healthy lifestyle?! An experimental intervention study. Journal of Experimental Psychology: Applied, 29(1), 149–161. https://doi.org/10.1037/xap0000430
  • Chen, Q., & Yan, Z. (2016). Does multitasking with mobile phones affect learning? A review. Computers in Human Behavior, 54, 34–42.
  • Cheever, Nancy A., Larry D. Rosen, L. Mark Carrier, and Amber Chavez (2014), “Out of Sight Is Not Out of Mind: The Impact of Restricting Wireless Mobile Device Use on Anxiety Levels among Low, Moderate and High Users,” Computers in Human Behavior, 37 (August), 290–97.
  • Christensen, M. A., Bettencourt, L., Kaye, L., Moturu, S. T., Nguyen, K. T., Olgin, J. E., et al. (2016). Direct measurements of smartphone screen-time: Relationships with demographics and sleep. PloS One, 11.
  • Deb, Amrita (2015), “Phantom Vibration and Phantom Ringing among Mobile Phone Users: A Systematic Review of Literature,” Asia-Pacific Psychiatry, 7 (3), 231–39.
  • Duncan, Douglas & Hoekstra, Angel & Wilcox, Bethany. (2012). Digital Devices, Distraction, and Student Performance: Does In-Class Cell Phone Use Reduce Learning?. Astronomy Education Review. 11. 10.3847/AER2012011.
  • Drouin, Michelle, Daren H. Kaiser, and Daniel A. Miller (2012), “Phantom Vibrations among Undergraduates: Prevalence and Associated Psychological Characteristics,” Computers in Human Behavior, 28 (4), 1490–96.
  • End, Christian M., Shaye Worthman, Mary Bridget Mathews, and Katharina Wetterau (2009), “Costly Cell Phones: The Impact of Cell Phone Rings on Academic Performance,” Teaching of Psychology, 37 (1), 55–57.
  • Hawi, N. S., & Samaha, M. (2016). To excel or not to excel: Strong evidence on the adverse effect of smartphone addiction on academic performance. Computers & Education, 98, 81–89.
  • Jackson, L. A., von Eye, A., Fitzgerald, H. E., Witt, E. A., & Zhao, Y. (2011). Internet use, videogame playing and cell phone use as predictors of children’s body mass index (BMI), body weight, academic performance and social and overall self-esteem. Computers in Human Behavior, 27, 599–604.
  • Jeffrey H. Kuznekoff & Scott Titsworth (2013) The Impact of Mobile Phone Usage on Student Learning, Communication Education, 62:3, 233–252, DOI: 10.1080/03634523.2013.767917
  • Lepp, A., Barkley, J. E., & Karpinski, A. C. (2014). The relationship between cell phone use, academic performance, anxiety, and satisfaction with life in college students. Computers in Human Behavior, 31, 343–350.
  • Levine, L. E., Waite, B. M., & Bowman, L. L. (2012). Mobile media use, multitasking and distractibility. International Journal of Cyber Behavior Psychology and Learning, 2, 15–29.
  • Ward, Adrian & Duke, Kristen & Gneezy, Ayelet & Bos, Maarten. (2017). Brain Drain: The Mere Presence of One’s Own Smartphone Reduces Available Cognitive Capacity. Journal of the Association for Consumer Research. 2. 000-000. 10.1086/691462.
  • Wei, F.-Y. F., Wang, Y. K., & Klausner, M. (2012). Rethinking college students’ self-regulation and sustained attention: Does text messaging during class influence cognitive learning?. Communication Education, 61, 185–204. doi:10.1080/03634523.2012.672755

PARTAGER

Rejoins-nous !

Abonne-toi à notre newsletter et reçois directement conseils et ressources dans ta boite mail !

Un mail te confirmation te sera envoyé : n'oublie pas de valider ton adresse mail et de ne pas laisser les mails arriver dans tes spams!