Aujourd’hui, je vais aborder le sujet des aménagements raisonnables. Je ne sais pas si c’est le même mot qui est utilisé dans les différents pays francophones, je vais donc commencer par relire la définition complète d’un aménagement raisonnable, pour qu’on parle bien toutes de la même chose : un aménagement raisonnable (ou AR), c’est une mesure appropriée, prise en fonction des besoins dans une situation concrète, afin de permettre à une personne présentant des besoins spécifiques d'accéder, de participer et de progresser dans son parcours scolaire.
Les AR peuvent prendre différentes formes : matérielles ou immatérielles, pédagogiques ou organisationnelles. Parfois, plusieurs aménagements sont également nécessaires pour un seul élève ou étudiant.
L’aménagement raisonnable ne vise pas à avantager l’élève ou l’étudiant en situation de handicap, mais à compenser les désavantages liés à sa situation et à un environnement inadapté, pour qu’il puisse progresser sur un pied d’égalité avec ceux qui ne sont pas en situation de handicap.
Dans certains cas, l’aménagement pourra profiter à plusieurs élèves ou étudiants.
Parfois, les aménagements raisonnables sont aussi profitables pour les élèves et étudiants sans handicap. Ce sera le cas, par exemple, d’un cours disponible sous format électronique pour un élève malvoyant ou dyspraxique, qui pourra aussi être mis à disposition de toute la classe ou d’un élève absent pour cause de maladie.
Tout ça, je le tire de documents officiels dont je te mets la source dans la description de l’épisode, si tu veux les retrouver. Ce document est aussi accompagné de plein d’exemples d’aménagements raisonnables. Sur le papier, c’est très bien et très joli tout ça, ça a l’air super simple et facile à mettre en place. Mais tous les exemples donnés laissent entendre qu’il n’y a qu’un seul élève à besoins spécifiques par classe, et qu’il est donc très facile de tenir compte des spécificités de cet élève.
En pratique, dans mon école en tout cas, on est très loin d’avoir un seul élève à besoins spécifiques par classe…
Et c’est là que ça se complique.
Raisonnable… ou pas si raisonnable ?
La deuxième partie de la définition d’un aménagement raisonnable me semble également importante : on précise bien “sauf si ces mesures imposent à l'égard de l'établissement qui doit les adopter une charge disproportionnée.” Cette phrase un peu vague laisse donc à qui veut la charge de déterminer quand la demande est disproportionnée ou pas. On parle de coût de mise en place, quand l’établissement doit investir pour modifier les lieux ou acheter du matériel. Mais le coût de la charge mentale de mise en place devrait aussi avoir sa place dans cette définition, selon moi.
Si je continue à lire ce document, je peux lire : pour déterminer si un aménagement est “raisonnable”, la direction de l’école évalue, sur proposition des parents, des pôles territoriaux et du paramédical en charge de l’élève, le caractère raisonnable des aménagements selon différents critères spécifiques, comme par exemple :
le coût
l'impact sur l'organisation de l’aménagement
la fréquence et la durée prévue de l'aménagement
l'impact de l'aménagement sur l’élève ou sur les autres élèves
l'absence ou non d'alternatives
Dans mon école, la décision d’accorder un nouvel aménagement raisonnable à un élève est prise lors d’un conseil de classe, et toute l’équipe pédagogique qui encadre l’élève a son mot à dire. La plupart du temps, les demandes sont validées par l’équipe et peuvent ensuite être mises en place.
Si, sur le papier, l’idée de permettre aux élèves à besoins spécifiques, ou en situation de handicap, de pouvoir suivre une scolarité comme les autres est bien jolie, je ne suis pas sûre que les gens qui ont imaginé ça se sont déjà réellement retrouvés dans nos classes.
La réalité du terrain
Lorsqu’on est dans des classes tous les jours, toute la journée, on est confronté à autre chose que ce qui est décrit dans ces pages. Ce qu’on demande souvent aux enseignantes, c’est de donner cours à des classes où la moitié des élèves demande un aménagement raisonnable. Ou bien de donner cours à une classe où un élève a des besoins spécifiques tellement importants qu’il en devient impossible de donner cours normalement. Et si on se plaint ou si on dit qu’on ne veut pas le faire, on nous rappelle que c’est obligatoire et qu’on n’a pas le choix. Sauf qu’on n’a jamais été formés pour suivre certains de ces cas compliqués. Qu’on a la responsabilité de faire apprendre un groupe de 25 élèves, et que notre énergie et notre attention ne peuvent pas être réquisitionnées par seulement quelques-uns, qui en auraient plus besoin.
Dans nos journées, on a besoin de nos temps de pause pour… prendre une pause, justement. Pas pour attendre tel élève qui a besoin de temps en plus pour terminer son évaluation, ou qui ne sait pas s’organiser et que l’on doit aider à ranger ses affaires et à arriver au cours suivant, ou pour faire passer une évaluation oralement car tel élève ne peut pas être évalué par écrit. Nos pauses sont déjà tellement vite grignotées par d’autres choses…
Aider nos élèves, bien sûr. Mais pas à n’importe quel prix. Si on se brûle à vouloir aider nos élèves maintenant, en faisant plus que ce qu’on est capable de faire, tout en restant en bonne santé mentale et physique, alors on va faire pâtir nos élèves du futur, car un jour, on ne sera plus capable d’être en classe. Et le pire qui puisse arriver à des élèves, c’est de ne plus avoir de prof devant eux. Donc, plutôt que de se dire que si on ne fait pas tout à 100 % comme il faut aujourd’hui, on faillit à nos élèves, est-ce qu’on ne pourrait pas plutôt se dire que si on fait ce qu’on peut, sans aller jusqu’à l’épuisement, c’est là qu’on va vraiment rendre service au maximum d’élèves sur notre carrière ?
Oui mais, je t’entends déjà, comment faire alors face aux injonctions de la direction et des parents (voire des collègues) ?
Option n°1 : tu t’en fous. Après tout, qu’est-ce qu’on va bien pouvoir te faire concrètement ? On manque de profs, donc on ne va pas se débarrasser de toi “juste” pour ça.
Option n°2 : tu développes un système qui permet à un maximum d’élèves d’être bien dans ton cours, sans avoir besoin de 36 aménagements différents.
De mon côté, c’est ça que j’essaie de faire. Car j’entends que certains ont plus de difficultés dans certaines circonstances, mais je ne vois pas pourquoi les élèves qui ont eu la possibilité d’être diagnostiqués auraient le droit d’avoir plus d’aide que ceux qui ont probablement le même besoin, mais qui n’ont pas été diagnostiqués. Car la différence, elle vient probablement du fait que certains parents sont plus au courant, ont plus de disponibilités et de ressources pour aider leur enfant que d’autres. Donc, évitons de renforcer encore une fois les inégalités sociales.
Bref. L’idée, c’est donc de trouver un moyen pour que tous les enfants qui en ont besoin puissent profiter d’une adaptation, sans que ça ne te demande plus de boulot, ou de savoir combien de fois tu dois imprimer telle copie en recto uniquement, ou en caractères plus grands, ou que tels élèves ont droit de répondre à moins de questions à une interro, ou que sais-je encore. Pour moi, la meilleure façon de faire, ce n’est pas de mettre une étiquette à tous ces élèves, mais de laisser la même possibilité à tous.
J’imagine que ce n’est pas simple, voire pas possible, pour tous les besoins spécifiques. Mais si je veux construire des supports d’apprentissage et un système qui ne doit pas être complètement repensé pour chaque nouvelle classe, ou chaque nouvel élève à besoins spécifiques, il faut bien commencer quelque part !
Un système inclusif et sans différenciation
Je n’ai absolument pas la solution à toutes les demandes d’aménagements raisonnables. Mais je peux déjà te donner quelques exemples que je mets en place dans mes cours et qui ne me demandent plus aucune différenciation au jour le jour.
J’imprime tous mes documents avec une police d’écriture et un interligne qui conviennent à tout le monde.
Je conçois tous les documents “élèves” pour qu’ils puissent être imprimés en recto verso pour tout le monde. Le vrai problème avec le recto verso, c’est si on a besoin de ce qui est écrit d’un côté pour résoudre un exercice écrit de l’autre côté.
Je donne accès à mes supports en ligne ; si un élève a besoin de les imprimer différemment, il peut le faire s’il le souhaite. En plus, ça permet aux élèves absents de se remettre en ordre plus efficacement, sans devoir attendre de revenir en classe.
Je fais des évaluations avec des exercices classés par niveau, et tous les élèves peuvent choisir quels exercices ils réalisent. Ceux qui n’ont pas la possibilité de se concentrer autant que les autres peuvent choisir de faire uniquement les exercices plus simples, et d’obtenir une note qui ne sera pas la meilleure possible, ou de faire uniquement les exercices plus complexes, et d’obtenir la meilleure note si c’est correct. N’importe quel élève peut faire ce choix, pas seulement ceux qui ont un aménagement raisonnable officiel.
Je permets à tous les élèves qui le demandent poliment et correctement de sortir prendre l’air quelques minutes s’ils ne se sentent plus capables d’être en classe, pas uniquement à ceux qui ont une permission spéciale.
Ces adaptations me permettent de ne plus avoir à m’occuper de la majorité des aménagements raisonnables de mes élèves. Il faut un peu de temps et de discussions en début d’année pour que tout le monde comprenne bien comment ça fonctionne, surtout pour les évaluations, mais quand les élèves comprennent que ce fonctionnement est au bénéfice de tous, je n’ai plus aucune réclamation.
J’ai trouvé ces adaptations pour les AR que je rencontre le plus, mais en fonction des cours, du type d’école ou du niveau d’enseignement, il y en a probablement d’autres qui reviennent souvent également. Le message que j’aimerais que tu gardes de cet épisode, c’est que, plutôt que de démultiplier ton travail à cause de tous ces aménagements, essaie de réfléchir à comment tu pourrais adapter ton enseignement dans son ensemble pour ne plus avoir à t’occuper de cet aménagement spécifiquement. Demande aux collègues qui donnent cours aux mêmes élèves à besoins spécifiques si elles n’ont pas déjà trouvé une super idée pour se simplifier la vie. Ose refuser si ce n’est pas possible de faire cet aménagement dans ta classe, pour le moment. Et souviens toi que le pire que tu puisses faire, c’est de t’épuiser à vouloir tout adapter, car si tu n’es plus apte à être en classe, devant tes élèves, plus aucun d’entre eux ne pourra apprendre.
Si tu as d’autres idées d’adaptations pour être plus inclusif dans nos pratiques, sans augmenter notre charge mentale pour respecter ce que chaque individu demande, n’hésite pas à m’envoyer un message ! Je suis sûre qu’il y a plein d’autres pratiques intéressantes.
Sources
Les aménagements raisonnables, http://www.enseignement.be/index.php?page=27781&navi=4888
Les aménagements raisonnables dans l’enseignement, Apprendre et étudier avec un handicap, UNIA, https://www.unia.be/files/Apprendre_et_étudier_avec_un_handicap_-_Brochure_2023.pdf
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