Je ne sais pas toi, mais moi, quand je vais débarquer dans une classe que je ne connais pas, j’essaie toujours de demander à mes collègues quelques infos sur la classe. Que ce soit pour y remplacer un collègue absent juste pour une heure, ou pour donner cours à une nouvelle classe pour plusieurs mois, j’aime bien avoir un max d’infos sur la dynamique de classe et sur les quelques élèves qui pourraient être problématiques, ou au contraire les élèves auxquels il faut porter plus d’attention.
Par exemple, j’essaie toujours de prendre le temps, en début d’année scolaire, pour échanger avec la prof qui était titulaire de la classe que je reprends l’année précédente, et qui donc connaît très bien ces élèves. Elle me donne les points d’attention pour la gestion du groupe dans son ensemble (qui placer à côté de qui, ou qui mettre loin l’un de l’autre dans le plan de classe, quel élève est problématique en classe et ce qui était mis en place l’année précédente…). Bref, j’essaie de prendre un max d’infos pour bien démarrer l’année avec cette nouvelle classe.
Pour les élèves que je vais avoir en option sciences, je regarde toujours leurs résultats en sciences et en maths l’année précédente. Ça me permet d’avoir une idée de leur niveau, de leur facilité dans ces deux matières, dans l’idée de savoir quels élèves je peux laisser plus en autonomie et livrés à eux-mêmes, et quels élèves auront probablement besoin de plus de soutien.
D’un autre côté, l’école organise aussi des réunions en tout début d’année, avant de rencontrer les élèves, pour que les profs soient au courant des besoins spécifiques de chaque élève, et des aménagements raisonnables déjà mis en place lors des années précédentes.
Je me suis toujours dit que c’était une bonne idée d’avoir des infos sur les élèves avant même de les rencontrer. Mais est-ce que c’est vraiment le cas ? Qu’est-ce que ça nous apporte réellement de pouvoir mettre des étiquettes de “bon élève”, “élève en difficulté”, “élève perturbateur” ou “élève à besoin spécifique”, pour n’en citer que quelques-unes ?
Comme toujours, en tant que scientifique, je me suis tournée vers la science, les études et la recherche pour essayer de trouver une réponse à cette question.
Et j’ai découvert ce qu’est l’effet Pygmalion, l’effet Golem, l’idée de prophétie autoréalisatrice et l’influence des étiquettes que nous mettons sur nos élèves, avant de les avoir rencontrés, ou durant notre enseignement. C’est de tout ça dont je vais te parler aujourd’hui.
L’effet Pygmalion
L’effet Pygmalion, qui est aussi appelé effet Rosenthal & Jacobson, du nom des chercheurs qui l’ont mis en évidence pour la première fois dans un contexte scolaire en 1968, est un phénomène psychosocial où les attentes d’une personne envers une autre peuvent influencer la performance de celle-ci. On l’appelle également le phénomène de prophétie autoréalisatrice, car le fait de croire en quelque chose va alors augmenter les possibilités que cette chose se réalise. Concrètement, cela veut dire que si on croit qu’un élève est doué, il aura de plus grandes chances de bien réussir, alors que si on croit qu’un élève est faible, il aura de moins grandes chances de réussir.
Lors de l’étude de 1968, Rosenthal et Jacobson ont fait croire à des enseignants que certains élèves de leur classe, choisis au hasard, étaient des élèves "très prometteurs" qui allaient faire des progrès importants durant l'année. À la fin de l'année, ces élèves "prometteurs" avaient effectivement des scores de QI plus élevés que les autres élèves, confirmant ainsi les attentes élevées que les enseignants avaient placées en eux.
Cette étude a démontré que les croyances des enseignants sur les capacités de leurs élèves pouvaient influencer la performance réelle de ces derniers. L'étude de Rosenthal et Jacobson a marqué un tournant dans la recherche en éducation, suscitant un débat important sur le rôle des attentes des enseignants dans la réussite scolaire des élèves.
Il est important de noter que l'effet Pygmalion initialement observé par Rosenthal et Jacobson était modeste, avec une différence de QI d'environ 4 points en moyenne entre les élèves "prometteurs" et les autres. Cette étude a suscité beaucoup de controverses dans le monde de la recherche en sciences humaines. D’une part, certaines personnes se sont emparées des résultats de cette étude et les ont amplifiés, en disant que l’effet des attentes d’un enseignant était bien supérieur à ce qui était mis en évidence dans l’étude. D’autre part, certains ont remis en cause la méthodologie de cette étude et donc la fiabilité de ses résultats, car ils n’ont pas été simples à répliquer par la suite.
Depuis, de nombreuses études ont été réalisées, et les méta-analyses reprenant des centaines d’études concluent que l’effet dû aux attentes des enseignants existe bel et bien, mais qu’il reste très modeste, et qu’il dépend de beaucoup de facteurs.
Par exemple, une étude a mis en évidence que l’effet Pygmalion sur des élèves du primaire n’explique une différence de résultat que de 0 à 6 % en français et en maths. Ça veut dire que le reste est dû à d’autres facteurs. De la même façon, une méta-analyse a conclu que l’effet Pygmalion n’explique qu’environ 20 % de la corrélation entre le jugement initial des enseignants et les performances des élèves, et que 80 % de cette corrélation est simplement due à la précision du jugement de l’enseignant, qui reflète la valeur réelle de l’élève.
L’effet Golem
L’effet Pygmalion se focalise sur l’influence d’attentes positives et élevées sur l’élève. À l’inverse, on peut aussi étudier ce qu’on appelle l’effet Golem : l’effet d’attentes négatives ou peu élevées, qui mène alors à de moins bons résultats. On a donc d’un côté la mise en évidence que des attentes élevées ont un (léger) impact positif, et de l’autre, que des attentes basses vont avoir, au contraire, un impact négatif sur les résultats scolaires. Le fait qu’un enseignant, qu’un parent, ou que l’élève lui-même ait des faibles attentes va avoir tendance à mener lui aussi à une prophétie autoréalisatrice…
L'effet Golem peut s'expliquer par plusieurs mécanismes :
L'effet Golem, tout comme l'effet Pygmalion, souligne l'importance des attentes dans la performance et le développement d'un individu. Il est essentiel de prendre conscience de l'influence de nos perceptions et de nos attentes sur les autres, car elles peuvent avoir un impact, que ce soit de manière positive ou négative. Il ne faut cependant pas se dire que nos attentes sont la source de toutes les inégalités et de toutes les difficultés des élèves ; elles ne participent que faiblement à ces inégalités.
Les étiquettes
En plus de ces deux effets, nous pouvons élargir notre questionnement à l’influence de toute “étiquette” que l’on collerait sur un élève.
Pour bien comprendre ce que je veux dire quand je parle d’étiquettes, il te suffit probablement de repenser à des discussions informelles de salle des profs. Un collègue explique qu’un élève est pénible dans sa classe, et deux autres collègues renchérissent en disant que chez eux aussi, mais que c’est normal, ça a toujours été un élève “perturbateur” chez tout le monde. Ou au contraire, tous les profs sont d’accord pour dire que c’est un élève “exemplaire”, qui a un comportement et des résultats excellents dans tous les cours. Les étiquettes peuvent être positives ou négatives, et ne se concentrent pas uniquement sur les résultats scolaires, mais englobent aussi le comportement de l’élève, par exemple.
Déjà, les étiquettes peuvent induire un effet Pygmalion ou un effet Golem. Mais les étiquettes ne se limitent pas à ça ; la théorie de l’étiquetage social est plus large, mais va dans le même sens que l’idée de prophétie autoréalisatrice. Elle indique que les individus ont tendance à se conformer aux jugements, aux étiquettes qui leur sont attribuées. Si un élève est constamment étiqueté comme "paresseux" ou "incapable", il peut intérioriser ces perceptions négatives et commencer à agir en conséquence.
Les étiquettes négatives peuvent également entraîner la stigmatisation et l'exclusion des élèves. Être étiqueté comme "perturbateur" ou "en échec" peut conduire à l'isolement social et au rejet par les pairs. Les élèves stigmatisés peuvent alors être privés d'opportunités d'apprentissage et de participation, ce qui peut aggraver leurs difficultés.
Les étiquettes négatives peuvent avoir un impact dévastateur sur l'estime de soi des élèves. Entendre constamment des messages négatifs sur leurs capacités peut les amener à se sentir inférieurs et à douter de leur valeur. Une faible estime de soi peut affecter la motivation, l'engagement et la persévérance des élèves. À l’inverse, se voir toujours qualifié de “bon élève” peut également mettre une pression de la réussite sur ces élèves, qui finissent par avoir peur de l’échec et peuvent se mettre dans des situations de stress élevé afin de répondre aux attentes qu’on a mises sur eux.
Les étiquettes peuvent influencer les perceptions et les comportements des enseignants. Des études ont montré que les enseignants peuvent inconsciemment traiter les élèves différemment en fonction des étiquettes qui leur sont attribuées. Par exemple, ils peuvent accorder moins d'attention, offrir moins d'opportunités de participation ou donner des feedbacks moins encourageants aux élèves étiquetés négativement, ce qui peut contribuer à la réalisation de la prophétie.
À l’inverse, les étiquettes positives peuvent stimuler la motivation et l'engagement des élèves. Se sentir reconnu et valorisé pour ses capacités peut renforcer la confiance en soi et inciter à travailler davantage pour atteindre son potentiel.
Quelle que soit l’étiquette attribuée à un élève, celle-ci peut avoir des effets plus ou moins importants en fonction d’autres facteurs, comme l’âge de l’élève, son origine ethnique ou le contexte scolaire.
En ce qui concerne l’âge des élèves, les recherches ne sont pas encore consistantes les unes avec les autres. Lors des premières recherches menées par Rosenthal, il a été mis en évidence que les élèves plus jeunes sont en général plus sensibles aux étiquettes, ce qui s’explique par le fait qu’ils sont encore en train de construire leur estime de soi. Mais lors de recherches plus récentes, ce sont au contraire les élèves les plus âgés qui ont été les plus influencés par les étiquettes. D’après ces dernières recherches, plus l’enfant grandit, plus il serait à même d’évaluer correctement les comportements différenciés de la part de son enseignant, et donc de prendre conscience du fait que son enseignant se comporte différemment avec lui et avec un autre élève.
Les résultats sont plus consistants en ce qui concerne l’origine ethnique et sociale des élèves. Par exemple, les enfants afro-américains semblent plus sensibles aux attentes de leurs enseignants, qui ont tendance à fixer des objectifs moins élevés à ces enfants, à les féliciter moins souvent et, de façon générale, à moins interagir avec eux (en comparaison aux enfants blancs). Les enfants issus de classes sociales défavorisées sont également plus sensibles aux attentes de leurs enseignants.
Que peut-on faire concrètement ?
Pour limiter les effets Pygmalion et Golem en tant que prof, il est important de prendre conscience de l'influence potentielle de ses attentes et de s'engager activement à créer un environnement d'apprentissage équitable et stimulant pour tous les élèves, sans pour autant se dire qu’on est responsable de toutes les inégalités scolaires, puisque ces effets restent faibles pour beaucoup d’élèves.
Il est cependant intéressant de reconnaître que certains biais existent, de notre part, envers certains de nos élèves, et que ces biais peuvent avoir une influence sur leurs comportements et leurs résultats scolaires. En tant que prof, nous devons croire en la capacité de chacun de nos élèves à apprendre, progresser et réussir. Pour cela, il est important de développer une vision flexible de l’intelligence ; l’intelligence doit être vue comme une capacité évolutive et pas comme quelque chose de fixe. Il faut éviter de penser qu’un élève est intelligent ou n’est pas intelligent. Et il faut évidemment croire en nos compétences personnelles, au fait qu’on peut réellement aider chaque élève à progresser.
Ensuite, il est important d’adopter des pratiques pédagogiques inclusives, en essayant de limiter au maximum les jugements hâtifs. L’idée est de favoriser un langage positif et encourageant, axé sur les forces et les progrès de chaque élève, plutôt que de les catégoriser ou de les étiqueter. Il faudrait s’efforcer de connaître chaque élève individuellement, en tenant compte de son contexte et de ses besoins spécifiques, pour éviter les généralisations abusives.
Au niveau des apprentissages, il faut veiller à ce que tous les élèves aient la possibilité de s’exprimer, de poser des questions et de participer activement aux activités. Le principe du regroupement par niveau doit être utilisé avec précaution pour ne pas stigmatiser les élèves qui seraient dans un groupe “fort” ou dans un groupe “faible”. Ces groupes doivent être flexibles, ils doivent varier et ne devraient pas être utilisés de manière constante.
Conclusion
Pour conclure, en me lançant dans cette recherche, je pensais trouver des preuves flagrantes sur les méfaits des étiquettes. Je suis très vite tombée sur les concepts de prophéties autoréalisatrices, et je me suis dit qu’il valait mieux abandonner cette pratique de chercher des informations sur mes futurs élèves, pour mieux les connaître. Mais en cherchant plus loin, en ne m’arrêtant pas aux premières informations trouvées sur le net et en me fiant aux vraies études scientifiques réalisées sur le sujet, j’ai réalisé que ces effets, bien qu’ils existent, ne sont en fait pas très puissants.
Je vais donc garder à l’esprit que les étiquettes peuvent avoir un léger effet négatif ou positif, particulièrement sur des élèves qui viennent de milieux plus défavorisés ou d’une minorité ethnique, mais que ce qui est vraiment important, en classe, c’est de rester la plus neutre et la plus juste possible face à tous mes élèves. Quand un “bon élève” fait un mauvais résultat, je ne dois pas forcément être surprise ou lui dire que c’est moins bien que d’habitude ; chacun a le droit d’avoir un mauvais jour ou d’avoir des difficultés à comprendre une matière. Quand un “mauvais élève” pose une question qui me semble très, voire trop basique, je ne dois pas montrer avec mon non-verbal que je trouve cette question stupide et je dois y répondre de la même façon que je réponds à n’importe quelle autre question.
En conclusion, il faut simplement continuer à considérer que tous les élèves sont là pour apprendre. Il faut leur laisser la même place à tous, quel que soit leur niveau quand ils arrivent dans nos classes. Il faut avoir le même niveau d’exigence pour tous, tout en acceptant leurs différences.
Bref, il faut faire preuve de bon sens !
Sources
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