Pourquoi certains élèves ont un comportement perturbateur ?

Dans cet article, on reprend là où on s’était arrêtés la fois passée. Si tu n’as pas lu l'article précédent, commence par là, sinon ça va être compliqué à suivre.


Pour se remettre dans le bain, on se souvient que nous avons tous 5 besoins fondamentaux que nous essayons de combler avec les comportements que l’on exprime. Le choix du comportement à exprimer est réalisé par notre cerveau. Si tout va bien, c’est notre cerveau “réfléchi” (notre cortex préfrontal) qui prend les décisions. Mais en situation de stress, l’amygdale (le centre des émotions) prend le dessus et fait passer notre cerveau en mode “fight, flight or freeze”. Et chez les enfants, le cortex n’est pas encore tout à fait développé, ce qui permet à l’amygdale de prendre plus facilement le contrôle des décisions.


Mais ça n’explique pas pourquoi tous les élèves ne se comportent pas de la même façon… Certains de nos élèves ne s’emportent jamais, sont calmes, attentifs et travailleurs, alors que d’autres sont constamment en train de réagir agressivement et semblent nous provoquer constamment. La différence entre nos élèves, c’est qu’ils n’ont pas grandi dans le même contexte. Ils n’ont pas eu la même enfance. Et la façon dont les premières années se déroulent, pour un enfant, a une énorme influence sur la suite.



Le contexte personnel durant la petite enfance

Si un enfant a été exposé à un stress toxique tôt dans sa vie, ou à des traumatismes, cela va affecter la connexion entre l’amygdale et le cortex préfrontal, qui peut avoir été endommagée ou être plus difficile à réaliser chez certains, à cause de ce qu’ils ont vécu dans leur enfance.


Si cette connexion est faible, alors la personne va avoir plus de mal à réguler ses émotions, à communiquer ses besoins et à répondre de manière calme et réfléchie. Si cet individu est un élève, cela mène à des comportements perturbateurs plus extrêmes et une réponse qui tend plus vite vers du “fight or flight”. La réponse typique face à ces élèves, c’est d’utiliser des conséquences punitives, qui vont en réalité appuyer encore plus le stress de ces élèves et leur réflexe d’opposition. Cela mène donc vers une escalade de comportements négatifs et pas de réels changements de comportements de l’élève.


Si on veut comprendre l’adulte/l’ado, on doit retourner à l’enfant qu’il a été, à ce qu’il a vécu précédemment. Pour comprendre ça, il faut regarder quel est le type d’attachement de cette personne, c’est-à-dire le type d’attachement qu’il a pu développer dans sa petite enfance (avant l’âge de 18 mois) avec la ou les personnes qui s’occupaient alors de lui.


Le type d’attachement détermine comment on voit le monde, comment on se voit soi-même et comment on voit les autres. Si on grandit en ne se sentant pas en sécurité, on va se mettre à croire que le monde est un lieu pas sécuritaire. C’est à travers l’attachement qu’ils développent avec les personnes qui prennent soin d’eux que les bébés construisent ce modèle interne, cette “vision” du monde, de soi et de l’autre. C’est la base de leur estime de soi et de leur valeur.


Selon la théorie de l’attachement de John Bowlby, il y a 4 types d’attachements possibles :

  • sécurisant → c’est le but ultime. Il se produit quand l’enfant sait qu’il peut se fier à la personne qui s’occupe de lui ; il est sûr que la personne va toujours revenir, va venir s’occuper de lui quand il en a besoin, quand il pleure, quand il a faim. Il sait que ses besoins seront comblés.
  • insécurisant de type évitant → l’enfant se détache de la personne qui prend soin de lui et ne montre pas de préférence entre cette personne et un inconnu. Cela peut être causé par de la négligence.
  • insécurisant de type ambivalent/anxieux → l’enfant ne peut pas se fier à la personne qui prend soin de lui car elle n’est pas disponible, elle n’est pas présente.
  • insécurisant de type désorganisé → la personne qui s’occupe de l’enfant a été une source de peur mais aussi de confort, ce qui mène l’enfant à être confus car il ne sait pas ce qui va lui arriver. Ce sont les enfants avec ce type d’attachement qui montrent les comportements les plus extrêmes. C’est ce qui arrive quand les parents ont abusé de leurs enfants ; les enfants ne peuvent pas se fier à l’adulte, mais ils dépendent quand même d’eux pour leur survie.


Les enfants qui ont développé un attachement sécurisant grâce aux soins de leurs parents se développent en se sentant en sécurité, ils savent qu’ils peuvent aller explorer le monde sans stress, qu’ils sont aimés, qu’on prend soin d’eux et que les gens sont bons et gentils. Ils peuvent faire confiance aux autres, leurs besoins sont comblés. Cette base mène à une personne qui peut avoir confiance en elle, qui peut développer des relations saines et positives, qui a de l’empathie, une haute estime de soi, une capacité à bien savoir gérer ses émotions, les conflits, le stress, et à être capable de demander de l’aide, puisqu’elle sait qu’elle peut faire confiance aux autres.


Mais quand un enfant est négligé dans sa petite enfance, que ses parents ne s’occupent pas suffisamment de lui, que ses besoins ne sont pas comblés, il va développer un type d’attachement insécurisant. L’enfant va alors développer la croyance que les autres ne peuvent pas combler ses besoins, qu’il ne peut pas faire confiance aux autres, qu’il ne vaut pas la peine d’être aimé et qu’il faut avoir peur du monde extérieur et des gens. Cet enfant va apprendre qu’il ne peut compter que sur lui-même, que tout le monde le laissera tomber. Ce genre d’attachement va donc mener à des individus qui vont avoir du mal à former des relations, qui vont avoir tendance à développer des problèmes d’anxiété, de dépression ou d’autres problèmes de santé mentale, à des comportements plus agressifs, à rechercher de l’attention ou au contraire à se refermer sur soi-même.


Ce qui mène à ce type d’attachement, ce sont des parents absents (émotionnellement ou physiquement), qui ont des problèmes non résolus, que ce soit des traumatismes, des soucis de santé mentale, des dépendances à l’alcool, à la drogue. Si les parents sont abusifs envers leurs enfants ou au contraire totalement négligents, s’il y a de la violence à la maison, entre les parents ou envers l’enfant, ou encore s’il y a des expériences traumatiques dans la petite enfance, l’enfant ne peut pas développer un attachement sécurisant.


En tant que prof, nous n’avons absolument aucun contrôle sur tout ça. Tout ce que nous pouvons faire, c’est adapter notre réaction face au comportement de nos élèves une fois qu’ils sont face à nous, et leur enseigner d’autres façons de réagir.


Ce qu’il se passe pour ces élèves, qui ont un type d’attachement insécurisant, c’est qu’ils vont entrer plus facilement en mode “flight, fight or freeze” car ils ont une plus petite fenêtre de tolérance. La fenêtre de tolérance est un concept développé par Dan Siegel, qui décrit la zone où les gens fonctionnent bien dans leur vie quotidienne, où on sait bien réguler nos émotions. La fenêtre de tolérance change d’une personne à l’autre, d’un jour à l’autre, et même au sein d’une journée.


Quand on est dans notre fenêtre de tolérance, tout va bien, on sait bien réagir aux comportements face à nous, on sait se réguler. Quand notre fenêtre de tolérance est grande, on a plus de capacité à absorber le stress et à le gérer correctement. Mais pour n’importe qui, lors d’une “mauvaise journée” où on accumule les petits trucs ennuyants (on est coincé dans les bouchons le matin, on est en retard à la photocopieuse, on renverse notre café, on sort d’une classe particulièrement difficile…), ça va diminuer notre fenêtre de tolérance, et on va réagir plus vite face à un comportement perturbateur. Certains jours, on est plus tolérants que d’autres.


Une personne qui a un attachement insécurisant va avoir une fenêtre de tolérance fortement réduite par rapport à quelqu’un qui a un attachement sécurisant, ce qui veut dire que l’amygdale va plus vite repérer quelque chose comme étant une menace, et donc la réaction “fight, flight or freeze” va se déclencher plus vite.


Voilà, avec tout ça, je t’ai expliqué tout ce que je voulais t’expliquer pour pouvoir comprendre pourquoi les élèves se comportent comme ils se comportent, et pourquoi certains élèves vont avoir tendance à exprimer plus de comportements perturbateurs. Mais du coup, que pouvons-nous faire en tant que profs face à ces élèves ? C’est ce qu’on va explorer dans les prochains articles !


Mais de manière générale, on va essayer de combler leurs besoins, par exemple en :

  • créant des routines, en étant prédictible et consistant ;
  • leur enseignant comment ils fonctionnent, comment leur cerveau fonctionne, en leur expliquant le concept de la fenêtre de tolérance, en leur apprenant à mieux gérer leurs émotions ;
  • proposant des choix ;
  • restant calme, en modélisant ce que l’on souhaite voir comme comportement ;
  • s’assurant qu’ils sont entendus, qu’ils vont bien, qu’ils sont mis en avant ;
  • utilisant plus de visuels ;
  • développant une relation positive avec eux ;
  • ayant des attentes et des limites claires ;
  • étant curieux face à leurs comportements et faisant preuve de compassion.


Ce qu’il est important de garder en tête, lorsqu’on est dans nos classes, c’est que ce qu’on voit de nos élèves, ce ne sont que des conséquences de ce qu’ils ont vécu et de ce qu’ils sont devenus à cause de leur passé.


Le premier pas que tu peux faire dès demain dans ta classe, c’est d’essayer de te poser des questions pour comprendre pourquoi un élève a tel comportement la prochaine fois que tu observes un comportement perturbateur :

  • Est-ce qu’il essaie de me dire quelque chose ?
  • Quel besoin essaie-t-il de combler ?
  • Qu’est-ce qu’il a besoin de ma part en ce moment ?
  • Qu’est-ce qui se cache derrière ce comportement ?
  • Est-ce que mon comportement contribue à une escalade ou une désescalade de la situation ?


Tout ce que je viens de te raconter aujourd’hui et dans l’article précédent, et les questions que je viens de te proposer, m’ont en tout cas permis de changer drastiquement d’approche face au comportement de beaucoup de mes élèves.


Durant mes premières années, je prenais les comportements de mes élèves personnellement. Je me disais que si tel élève est constamment en retard, c’était pour m’ennuyer et m’empêcher de bien démarrer mon cours. Je me disais que si tel élève était constamment en train d’interrompre, de parler fort, ou de participer de manière non pertinente, c’était pour perturber la leçon et m’embêter moi. Que si un élève ne se mettait pas au travail, que ce soit en classe ou à domicile, c’était forcément un choix conscient de sa part et qu’il en avait toute la responsabilité.


Maintenant, j’observe toujours ces comportements chez certains élèves, mais ma réaction est très différente. Plutôt que d’être en colère, vexée, fâchée, d’en vouloir à l’élève (car oui, c’est ce que je ressentais alors), je suis beaucoup plus détachée et je ne me sens plus du tout visée. Je me dis que l’élève a une raison, que je ne connais pas et sur laquelle je n’ai probablement que très peu d’emprise. Et le plus grand changement que ça a permis, c’est que la majorité du temps, j’arrive tout à fait à rester calme et à ne plus être impactée personnellement par ces comportements. Et ça, c’est clairement le premier pas pour pouvoir gérer ces comportements.


S’il y a une chose dont j’aimerais que tu te souviennes de cet épisode, c’est que le passé des élèves n'excuse pas leur comportement, mais il l'explique.

Source

  • Formation “That’ll teach’Em” de Claire English (The Unteachables Academy)

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