S’adapter au style d’apprentissage des élèves

Teste tes connaissances avec un petit quiz !


Je fais le quiz

Est-ce que tu es plutôt visuel, auditif, ou kinesthésique ? Et tes élèves, ils ont majoritairement quel style d’apprentissage ? Comment peux-tu faire pour t’adapter au mieux à leur style d’apprentissage ? C’est ce que nous allons décortiquer dans l’épisode du jour.


Tout d’abord, revenons un peu en arrière au cas où tu ne saurais pas du tout de quoi je parle. Quand je dis que tu serais plutôt visuel, auditif ou kinesthésique, je parle ici de trois des styles d’apprentissage les plus connus du grand public. Un style d’apprentissage, c’est une façon d’apprendre qui conviendrait mieux à une certaine partie de la population, et moins bien à une autre partie de la population. Les apprenants "visuels" auraient ainsi plus de facilités à apprendre des choses qui leur sont présentées visuellement, par des graphiques, des images, des vidéos, des affiches, bref, tout ce qui demande qu’on s’y attarde avec les yeux. Les apprenants "auditifs" auraient une préférence pour ce qui demande de s’y attarder avec les oreilles, comme les discussions en groupe, la lecture à haute voix ou encore l’écoute de podcasts. Et les apprenants qui ont une préférence kinesthésique ont besoin de bouger, manipuler des choses, en faisant par exemple des expériences, des jeux de rôle ou encore en construisant des maquettes, pour ne citer que quelques exemples. Il existe évidemment bien d’autres styles d’apprentissage, mais je vais me contenter de parler de ces trois-là aujourd’hui, bien que tout ce que je dise puisse être extrapolé à n’importe quel autre style d’apprentissage dont tu entendrais parler.


En écoutant ces descriptions, je suis sûr(e) que tu sais très bien où tu te situes et que tu as ta préférence à toi. De mon côté, je sais qu’il est impossible que j’écoute un podcast sans faire autre chose en même temps, que ce soit regarder quelque chose ou, encore mieux, faire quelque chose de mes mains pour m’aider à me concentrer sur ce que j’écoute. J’imagine donc que je ne suis pas très auditif(ve)… et pourtant, lorsque je dois étudier quelque chose, je sais qu’une des façons les plus efficaces était de m’expliquer les choses à voix haute… donc de parler. Du coup, est-ce que je ne serais pas auditif(ve) quand même ?


Une manière facile de te situer, c’est de faire un de ces nombreux tests que l’on retrouve sur le net un peu n’importe où. Bref, ce n’est pas très compliqué de trouver un moyen pour découvrir sa propre préférence d’apprentissage. Et c’est pareil pour les élèves, qui ont vite fait de nous dire qu’ils sont plutôt visuels, et qu’il leur faut des images plutôt que des longs discours, ou bien qu’ils sont kinesthésiques et qu’ils ne peuvent pas apprendre sans expérimenter eux-mêmes, par exemple.


La société encourage d’ailleurs l’idée que nous sommes tous différents, avec nos propres talents, nos forces et nos faiblesses. Et ça colle bien avec cette théorie des styles d’apprentissage. On connaît tous des gens autour de nous qui sont plutôt habiles de leurs mains, d’autres qui sont de grands orateurs et d’autres encore qui excellent dans la réalisation de graphiques ou de schémas. Il est donc tout naturel de vouloir classer les gens en fonction de leurs habiletés naturelles, et par extrapolation on peut se dire que si on est doué de ses mains, on apprendra mieux avec ses mains, par exemple. La théorie des styles d’apprentissage semble donc parfaitement coller à tout ça.


Cette "catégorisation" des préférences des élèves tombe d’ailleurs très bien en cette période où on nous encourage à différencier les apprentissages pour que chaque élève puisse exploiter au mieux son potentiel et apprendre de la meilleure manière qui soit - pour lui. C’est une aubaine pour le monde éducatif qui s’est déjà rué sur cette idée pour développer des méthodes spécifiques basées sur tel ou tel style d’apprentissage. Tu peux par exemple trouver une méthode spécifique pour les auditifs, ou encore une méthode pour améliorer les résultats des kinesthésiques, et je peux décliner ça à l’infini pour chaque style d’apprentissage.


Mais ces styles sont-ils fondés scientifiquement ? Est-il réellement bénéfique pour l’apprentissage des élèves de leur enseigner en fonction de leur style de préférence ? Une étude réalisée auprès de 400 profs en Angleterre et aux Pays-Bas montre que plus de 90% des profs en sont en tout cas convaincus que l’apprentissage est meilleur lorsqu’on enseigne dans le style de préférence des élèves.

Voyons un peu ce que la science a à dire là-dessus.


Tout d’abord, il pourrait simplement y avoir une base biologique qui expliquerait les préférences d’apprentissage entre les élèves. Par exemple, on observerait que le cerveau des élèves visuels s’active toujours beaucoup plus dans la zone visuelle, et qu’au contraire la zone auditive s’activerait beaucoup plus dans le cerveau des élèves auditifs. Ce qu’on observe, c’est que, quel que soit le style de préférence, lorsqu’on regarde quelque chose, la zone visuelle du cerveau s’active, alors que lorsqu’on entend quelque chose, la zone auditive du cerveau s’active. Il n’a jamais été démontré que la zone visuelle était plus active chez une personne qui se dit "visuelle" que chez une personne qui se dit "auditive". Donc, pas de preuve biologique.


S’il n’y a pas de preuve biologique, cela ne veut pour autant pas dire qu’un "visuel" ne pourrait pas mieux apprendre grâce à un enseignement visuel, ou qu’un "auditif" apprendrait mieux avec un enseignement auditif. Heureusement pour nous, plusieurs études ont été réalisées pour déterminer si c’est le cas ou pas. Cela permettra de faire la distinction entre le fait que quelqu’un peut avoir une préférence pour un style d’apprentissage, ce qui n’est pas du tout remis en question puisque chacun peut facilement identifier sa préférence pour quelque chose (je préfère étudier en parlant, en écoutant donc je me considère comme auditif, ou au contraire je préfère utiliser des images, des schémas donc je me considère comme visuel) et le fait qu’un enseignement dans le style de préférence de la personne mène à un meilleur apprentissage. Ce sont deux choses bien distinctes. Et la théorie des styles d’apprentissage expliquerait justement que les apprentissages sont effectivement meilleurs lorsque l’apprentissage est réalisé dans le style préféré de l’apprenant. Voyons voir ce qu’il en est.


Pour confirmer cette hypothèse, il faudrait réaliser l’étude suivante : sélectionner un grand nombre d’élèves dont on connaît la préférence d’apprentissage, puis leur assigner au hasard une méthode d’apprentissage, indépendamment de leur préférence d’apprentissage. On aurait ainsi, par exemple :

- des visuels qui apprennent avec un enseignement visuel

- des visuels qui apprennent avec un enseignement auditif

- des auditifs qui apprennent avec un enseignement visuel

- et des auditifs qui apprennent avec un enseignement auditif.


L’apprentissage doit ensuite être évalué de la même façon pour tous les élèves, et il faudrait observer de meilleurs résultats pour les visuels qui ont appris de manière visuelle, et pour les auditifs qui ont appris de manière auditive, en comparaison avec les élèves qui ont appris avec une méthode d’apprentissage qui n’avait pas leur préférence. Et bien figure-toi qu’il n’y a pas une seule étude convaincante qui soit arrivée à ce résultat. Au contraire, beaucoup d’études montrent que la correspondance entre la préférence d’apprentissage et la méthode d’apprentissage n’a aucun effet sur la qualité de l’apprentissage.


Autrement dit, il n’existe pas de preuve, ni biologique, ni empirique que l’enseignement basé sur les styles d’apprentissage soit efficace. Et vu la quantité d’études qui ont été réalisées sur le sujet, il devrait y en avoir qui confirment cette hypothèse, si jamais l’hypothèse était vraie. Donc, on peut affirmer que la théorie des styles d’apprentissage n’a pas de fondement scientifique.


Ok, la science n’appuie donc pas cette théorie. Mais les élèves ont bien des préférences, alors quel mal peut-il y avoir à leur donner cours en tenant compte de ces préférences, même s’il n’y a aucune influence sur leur apprentissage ? Si on a envie de leur faire plaisir, on peut, non ?


Et bien ce n’est pas aussi simple que ça. Car le cerveau apprend mieux lorsqu’il y a plusieurs modes d’apprentissage qui sont combinés : on parle d’apprentissage multimodal. Une étude a par exemple montré que si on montre les lèvres de quelqu’un parler ET qu’on entend la phrase dite par la personne simultanément, une zone supplémentaire du cerveau s’active comparativement à l’écoute seule (où la zone auditive du cerveau s’active), ou à la visualisation seule (où la zone visuelle du cerveau s’active). L’utilisation simultanée des deux stimuli active donc une troisième zone en plus de la zone visuelle et auditive. Et une zone du cerveau qui s’active, ce sont des réseaux neuronaux qui travaillent et donc l’apprentissage qui est favorisé, en gros. Ce qui veut dire que se limiter à une seule méthode d’apprentissage, que ce soit la préférée de l’élève ou pas, c’est priver l’élève d’une possibilité supplémentaire d’apprendre, grâce à l’apprentissage multimodal.


Le développement de supports d’apprentissage visuels, auditifs ou kinesthésiques n’est donc absolument pas à mettre à la poubelle, mais il doit impérativement être utilisé de manière combinée pour tous les élèves, et pas de manière différenciée en fonction de la préférence de l’élève.


Si tu donnes un support sous forme de texte à tes élèves, ajoute-y des images dont les informations sont redondantes par rapport au texte. Ajoute un lien vers une vidéo ou vers un audio que l’élève pourra regarder ou écouter. Si tu expliques quelque chose oralement, profite-en pour projeter également l’information de manière graphique au tableau. Essaie de toujours combiner différents styles d’apprentissage afin d’activer un maximum de zones du cerveau de tes élèves, ce qui a pour conséquence de maximiser leur apprentissage.


Je voulais te parler de tout ça aujourd’hui car j’entends régulièrement des collègues parler des styles d’apprentissage avec leurs élèves, et je vois souvent passer des publications sur les réseaux sociaux de profs pleins de bonne volonté qui partagent des ressources basées sur les styles d’apprentissage, qui veulent faire découvrir leur style d’apprentissage à leurs élèves et développer des outils de différenciation basés sur ce neuromythe. Il y a quelques années, je croyais moi aussi qu’ils existaient. Mais au vu de ce que je t’ai raconté aujourd’hui, j’espère que tu es maintenant d’accord pour dire qu’il faut anéantir ce mythe, particulièrement auprès des enseignants, afin qu’on puisse expliquer aux élèves, et aux parents, que l’enseignement basé sur une seule modalité d’apprentissage n’est pas quelque chose de bénéfique.


Si tu te sens d’attaque pour ça, tu peux même faire une petite expérience avec tes élèves. Parle-leur des styles d’apprentissage et demande-leur comment est-ce qu’on pourrait tester la validité de cette théorie. En fonction de leur âge ou de leur niveau, ils devraient pouvoir eux-mêmes réinventer le test dont je t’ai parlé plus tôt. Tu peux aussi simplement leur expliquer quel test il faudrait réaliser. Et puis, quoi de mieux que de faire le test grandeur nature avec eux ? Organise une séance sur la méthode scientifique en posant ton hypothèse de départ, en faisant l’expérience puis en analysant les résultats obtenus ! Tu peux simplement leur demander de retenir une dizaine de mots que tu leur donnes soit grâce à une image (support visuel), soit en leur lisant les mots (support auditif). Ensuite, tu peux même comparer leurs résultats en refaisant l’expérience mais cette fois en proposant un apprentissage multimodal : montre l’image, le mot écrit et dis le mot également. Pour faire tout ça, c’est important que tu te sentes à l’aise pour discuter des résultats, même s’ils ne sont pas parfaits, et des biais potentiels d’une telle expérience menée à une si petite échelle qu’est une classe.


Si tu veux en apprendre plus là-dessus, et également sur d’autres neuromythes courants en éducation, je te conseille l’excellent livre “Les neurosciences en éducation” qui présente 8 neuromythes, dont celui sur les styles d’apprentissage, avec des études scientifiques à l’appui.


Pour conclure, si tu dois retenir une seule chose de cet épisode : Il y a plein de méthodes d’apprentissage qui rendent l’apprentissage plus efficace. Mais les styles d’apprentissage n’en font pas partie.

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