Socioconstructivisme et enseignement explicite sont-ils compatibles ?

Dans cet épisode, on va parler encore une fois de courants pédagogiques qui m’intéressent depuis longtemps, que je découvre, que j’approfondis, et dont je t’ai déjà parlé dans plusieurs épisodes.

L’enseignement explicite est parfois présenté en opposition aux théories constructivistes et socio-constructivistes, et à l’enseignement par la découverte. Plutôt que de continuer à faire un débat stérile entre deux camps qui s’opposent — les uns prônant l’explicite à tout va, les autres défendant bec et ongles l’approche par la découverte et la “construction” du savoir par l’élève — je suis enfin tombée sur des articles faisant le lien entre ces deux types de pratiques. Et qui permettent enfin de comprendre qu’elles ne sont pas simplement opposées et incompatibles, mais qu’il faut comprendre les avantages et les utilités de chacune, afin de savoir quand les utiliser à bon escient.

Comme j’ai déjà beaucoup parlé de l’enseignement explicite dans l’épisode précédent, je ne vais pas le redéfinir. Je te renvoie à l’écoute de l’épisode X si ce n’est pas encore fait. Par contre, je vais prendre le temps d’expliquer ce qu’on entend par constructivisme.

Le constructivisme

Le constructivisme défend l’idée qu’un sujet apprend, c’est-à-dire qu’il assimile des informations, s’y accommode et donc s’adapte, par un mécanisme de réorganisation interne. Ce qu’il sait déjà est réorganisé autour des nouveaux apprentissages. Apprendre, ce n’est pas ajouter de l’information, mais transformer une organisation interne existante. Cette théorie de la construction cognitive est expliquée par Jean Piaget.

Quand un élève arrive en classe, il a déjà en tête certaines idées, certains bouts de connaissances sur le sujet qu’on va travailler. Ce ne sont pas forcément des savoirs précis ou exacts, mais ce sont ses repères à lui. Le truc, c’est que tant qu’il ne se confronte pas à une difficulté, il ne se rend pas compte de ce qu’il ne sait pas. On dit alors qu’il est en “incompétence inconsciente” : il ne sait pas qu’il ne sait pas. Et en fait… c’est plutôt confortable comme position !

Mais à un moment, l’enseignant va volontairement le mettre face à une difficulté, à un obstacle qui va faire vaciller ses certitudes. En didactique, on appelle ça une “situation-problème”. Et là, l’élève prend conscience qu’il ne sait pas. Il passe en “incompétence consciente” : je sais que je ne sais pas. Et cette phase-là, elle est inconfortable, parfois même un peu frustrante.

C’est justement à ce moment-là que le rôle de l’enseignant est central. En partant des questions que les élèves commencent à se poser, il va apporter des éléments de réponse, structurer les savoirs, les organiser. C’est le moment où l’on transmet formellement les connaissances.

Progressivement, l’élève comprend et il arrive à la phase de “compétence consciente” : il sait qu’il sait. Et ça, c’est agréable, parce que ça valorise les efforts fournis. C’est gratifiant.

Enfin, avec le temps, avec l’entraînement, la répétition, ce savoir devient automatique. L’élève n’a plus besoin d’y penser consciemment : il est passé à la “compétence inconsciente”. Et cette automatisation libère de la place pour apprendre de nouvelles choses.

Le socioconstructivisme, c’est un peu comme le constructivisme, mais avec une couche en plus. On part toujours du principe que les élèves construisent leurs connaissances petit à petit, en transformant leurs idées de départ. Mais ici, on ajoute que cette construction ne se fait pas uniquement dans leur tête, chacun dans son coin. Elle est aussi, et surtout, facilitée par les échanges avec les autres.

Autrement dit, ce sont les interactions sociales qui vont accélérer l’évolution des représentations des élèves. Et ces échanges se font souvent dans des situations de travail en groupe, où chacun est amené à confronter ses idées à celles des autres, à argumenter, à remettre en question, à reformuler.

Et attention, ça ne veut pas du tout dire que l’enseignant doit s’effacer. Au contraire. Dans cette approche, son rôle est encore plus clair, plus actif. C’est lui qui pose le cadre, qui organise les échanges, qui fait émerger les conflits cognitifs et qui accompagne les élèves pour les aider à dépasser leurs blocages.

De l’explicite dans le constructivisme

Ce que nous disent les sciences de l’éducation aujourd’hui concernant le constructivisme, c’est qu’il y a quelques idées de base qu’il vaut la peine de garder en tête quand on enseigne.

D’abord, les élèves arrivent en classe avec leurs propres idées sur le monde, parfois très éloignées des savoirs qu’on cherche à enseigner. Et on a tout intérêt à partir de ces représentations-là, même si elles sont fausses ou incomplètes. Parce que si on ne fait que superposer de la connaissance “officielle” par-dessus des idées fausses, ça ne prend pas.

Ensuite, si on veut vraiment déclencher de l’apprentissage, il faut faire naître du questionnement. Il faut que ce qu’on apporte comme réponse corresponde à une vraie question que l’élève se pose. C’est là que notre intervention devient essentielle. Et pas n’importe laquelle : une intervention claire, structurée, explicite. Et là, c’est intéressant, parce que ce qu’on appelle “explicitation” dans le cadre du socioconstructivisme, c’est justement ce que l’enseignement explicite défend aussi. Il ne s’agit pas de tout expliquer tout le temps, mais d’être attentif aux moments où les élèves en ont vraiment besoin.

Par exemple, on peut avoir besoin d’expliciter une consigne, surtout quand elle cache des attentes implicites. Pour certains élèves, ce qu’on attend d’eux n’est pas du tout évident. Et si on ne le rend pas clair, on risque de les laisser à côté de l’apprentissage sans même qu’ils s’en rendent compte. Ou bien, après un échange en classe, on peut reformuler ce qui a été dit, structurer les idées, tirer une conclusion, poser des repères. C’est à ce moment-là que la transmission des savoirs prend tout son sens : parce qu’elle s’appuie sur ce que les élèves viennent de vivre, de dire, de confronter. Ce n’est pas un cours sorti de nulle part. C’est une réponse à une question qui a émergé.

Alors non, tout ça ne s’oppose pas à l’enseignement explicite. Bien au contraire. Quand on dit que l’enseignant joue un rôle central dans les apprentissages, qu’il faut clarifier les attentes, structurer les étapes, rendre visible ce qu’on veut faire apprendre : on est exactement dans cette idée.

Choisir entre découverte et explicitation

En tant que prof, notre rôle n’est pas de choisir notre camp entre enseignement par la découverte et enseignement explicite. Notre rôle serait plutôt de savoir distinguer quelles situations demandent de l’explicite, et quelles situations sont propices à une découverte plus autonome de la part des élèves. Quand est-ce que l’élève a besoin d’imitation, et quand est-ce qu’il a la possibilité de mener une enquête.

Bocquillon, Bissonnette et Gauthier (2019) placent ces deux types d’approches sur un continuum et proposent quatre critères permettant d’ajuster le niveau d’accompagnement fourni aux élèves (et donc de choisir entre ces deux grands types d’approches) : le niveau de compétence des élèves, le degré de complexité / nouveauté de la tâche à accomplir, le temps disponible et le type d’idée (maîtresse ou secondaire) à enseigner.

Chaque critère nous permet de pencher vers une approche plutôt explicite ou plutôt par la découverte, en fonction du public qui est devant nous.

Lorsque le niveau de compétence des élèves est faible, que plusieurs d’entre eux éprouvent des difficultés, que la tâche qu’ils doivent réaliser est nouvelle ou complexe, ou que le temps disponible est limité, il est plus efficace d’utiliser la démarche de l’enseignement explicite.

À l’inverse, lorsque le niveau de compétence des élèves est élevé, que la tâche à réaliser est connue ou simple, et que le temps disponible est suffisant, il est possible d’utiliser dans ce contexte des approches par la découverte, où le niveau de guidance requis est minimal.

Le contenu à enseigner va aussi guider notre choix. Il y a des contenus qui nécessitent d’être expliqués de manière très claire, très structurée, parce qu’ils sont centraux dans la progression des apprentissages. On parle ici des idées maîtresses du curriculum, des points centraux de notre matière. Les idées maîtresses, ce sont les grands concepts, les principes fondamentaux, les stratégies clés… en bref, ce autour de quoi on va organiser plein d’autres apprentissages. Pour ce genre de contenus, il faut un enseignement explicite, parce que ce sont des notions denses, complexes, et qu’elles demandent beaucoup d’étayage. On ne peut pas les laisser “deviner” aux élèves.

Et donc, ça ne veut pas dire que l’approche par la découverte est à bannir. Elle peut fonctionner, mais dans certaines conditions bien précises : si les élèves ont déjà un bon niveau de maîtrise, si la tâche n’est pas trop difficile, et si on a suffisamment de temps pour aller au bout du processus. C’est une question de dosage, de contexte, pas une guerre de méthodes.

Et d’ailleurs, même dans l’enseignement explicite, on ne fait pas que du simple ou du répétitif. Les élèves sont aussi confrontés à des tâches complexes. La différence, c’est le moment où on les confronte à ces tâches. Dans une approche par découverte, on donne d’emblée la tâche complexe, parfois en espérant que les élèves vont, par eux-mêmes, découvrir tout ce qu’il faut mobiliser pour la réussir. Mais dans l’enseignement explicite, on fait les choses dans un autre ordre. On commence par s’assurer que les élèves maîtrisent bien les savoirs de base, les habiletés simples. Et ensuite, une fois que c’est acquis, on les amène à réinvestir ces savoirs dans des situations plus complexes. C’est ce qu’on appelle le transfert. Et ce moment-là est fondamental dans le processus d’apprentissage.

Conclusion

Donc non, l’enseignement explicite, ce n’est pas “faire du par cœur” ou rester collé à des fiches d’exercices basiques. C’est structurer, guider, outiller, pour que les élèves soient capables, ensuite, de se débrouiller de façon autonome dans des tâches plus exigeantes. Et ce n’est pas la seule approche à utiliser. Le choix d’une méthode dépend du type de savoir à enseigner, du niveau des élèves, du temps qu’on a, de la complexité de la tâche. Et puis, il y a aussi des considérations plus humaines : varier les activités, casser la routine, maintenir la motivation. Tout ça joue aussi.

Et c’est ça, au fond, qui fait un bon enseignant : pas le choix rigide d’une méthode, mais la capacité à adapter ses pratiques en fonction de ses élèves, de ses objectifs, de son contexte, tout en s’appuyant sur ce que la recherche nous dit des pratiques qui fonctionnent.

Ce qu’il faudrait retenir de cet épisode, c’est qu’il ne faut pas opposer constructivisme, socioconstructivisme et enseignement explicite. Ce sont des approches qui, bien utilisées, avec le bon public, au bon moment, se complètent.

Sources

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