Du qualitatif au quantitatif... ou l'inverse ?

Dans l’article précédent, je t’ai raconté comment je me lance dans le chapitre sur les équilibres chimiques, pour faire comprendre le mieux possible le concept d’équilibre chimique et le fait que cet équilibre soit dynamique. La conclusion, c’est que pour y arriver, j’essaie de combiner les trois approches que j’ai testées au fil des années. Mais ensuite, comment je continue ce chapitre ? C’est de ça qu’on va parler aujourd’hui.

Le chapitre des équilibres chimiques

De nouveau, l’ordre dans lequel j’aborde les choses a beaucoup changé au fil des années. Et la quantité de choses vues a aussi pas mal varié en fonction du temps disponible. Mais de manière générale, je vois toujours les mêmes concepts importants : un premier concepts important à aborder, c’est de voir les influences d’un changement de température, de pression ou de concentration sur un équilibre, c’est-à-dire la loi de Le Chatelier, ce qui correspond à la partie plutôt qualitative du chapitre. La deuxième chose importante, c’est de pouvoir faire des calculs quantitatifs autour d’une situation d’équilibre, en réalisant un tableau d’avancement et en exprimant la constante d’équilibre en fonction des concentrations en produits et en réactifs. Lorsque le temps me le permet, j’aime bien compléter en voyant le concept de quotient réactionnel, qui permet aux élèves de prédire dans quel sens va évoluer un équilibre en fonction des quantités mises en présence au départ, mais je n’y arrive pas toujours. Quand je peux, j’essaie aussi d’intégrer au moins une séance de laboratoire où ce sont les élèves qui manipulent.

Du qualitatif vers le quantitatif

Le principe de Le Chatelier

Mes premières années, j’entamais ce chapitre avec la partie plutôt qualitative et je terminais avec le quantitatif. Je commençais donc par le principe de Le Chatelier, soit avec une expérience où on fait varier la concentration ou la température et on observe comment l’équilibre évolue, soit simplement de façon théorique (ou encore mieux : en combinant les deux !). Pour l’expérience, on peut simplement reprendre les mêmes que celles que j’ai décrites dans l’épisode précédent.


Ensuite, on peut faire réaliser des exercices sur le principe de Le Chatelier aux élèves : en fonction des contraintes appliquées à un système en équilibre, les élèves doivent prédire dans quel sens l’équilibre va être déplacé, ou, à l’inverse, on demande quelles contraintes peuvent être appliquées pour déplacer l’équilibre d’une certaine façon.


Au cours de ces exercices, les élèves vont en profiter pour revoir certaines notions vues lors du chapitre de thermochimie, encore une fois. Pour déterminer le sens d’évolution d’un équilibre chimique lorsqu’on modifie la température, il faut savoir si la réaction en question est endothermique (elle absorbe de la chaleur) ou exothermique (elle libère de la chaleur).

Mais jusqu’ici, aucun calcul n’est nécessaire. Les élèves apprennent à manipuler le concept d’équilibre chimique purement qualitativement, ce que j’ai toujours imaginé être plus facile pour démarrer un chapitre.

L’expression de la constante d’équilibre

Dans un deuxième temps, j’abordais la partie plus quantitative.

Tout d’abord, si le temps le permet (ce qui, en pratique, n’arrive à peu près jamais), je commence par démontrer l’expression de la constante d’équilibre. J’aime bien cette démonstration, mais elle est purement mathématique, donc elle perd souvent les élèves les moins matheux… Le principe, c’est de partir de données de concentrations de la réaction transformant 2 NO₂ en du N₂O₄. On réalise plusieurs fois l’expérience et on mesure les concentrations de NO₂ et de N₂O₄ à l’équilibre. On peut ensuite porter le rapport des concentrations entre NO₂ et N₂O₄ à l’équilibre en graphique, ce qui donne une courbe croissante.


La fonction mathématique obtenue n’est pas linéaire et n’est donc pas directement reconnaissable. On peut alors expliquer aux élèves qu’un procédé fréquemment utilisé par les scientifiques pour essayer d’obtenir un graphique linéaire est d’utiliser les logarithmes. Calculons donc le logarithme (en base 10) des différentes concentrations et traçons-en le graphique. On obtient alors une droite ; nous avons réalisé une linéarisation.


Comme le graphique correspond maintenant à une droite, et que les élèves connaissent la forme générale d’une équation de droite, on peut écrire l’équation de la droite portée en graphique. Puis, avec quelques transformations mathématiques et en utilisant les propriétés des logarithmes, on peut arriver à retrouver l’expression de la constante d’équilibre de la réaction.


Cette partie implique d’avoir vu les logarithmes et d’avoir des élèves intéressés par les maths ! En pratique, je n’ai réalisé qu’une seule fois la démonstration avec une classe entière. Comme j’ai des élèves qui suivent des cours de maths de niveaux différents, tous n’ont pas vu les logarithmes à ce moment-là, et tous ne sont pas intéressés par cette démonstration… Ce que je fais maintenant, c’est que je leur donne la démonstration écrite, comme ça les élèves intéressés peuvent la découvrir par eux-mêmes et me poser des questions dessus s’ils le souhaitent.


Sans démonstration, c’est beaucoup plus rapide, mais ça vient un peu de nulle part ; on donne l’expression de la constante d’équilibre aux élèves, et voilà. On peut aussi faire bidouiller les élèves pour qu’ils trouvent eux-mêmes la bonne relation mathématique au départ de données de concentrations, mais je ne suis pas sûre de voir l’intérêt de faire ça par rapport au temps perdu. Mais bon, chacun ses choix ! Quoi qu’il en soit, on arrive à la loi de Guldberg et Waage, qui relie les concentrations des réactifs et des produits à l’équilibre.

Exercices autour de la constante d’équilibre

On peut ensuite faire toute une série d’exercices sur la compréhension de la constante d’équilibre et sur le calcul de celle-ci au départ des concentrations à l’équilibre, en faisant réfléchir les élèves autour du fait que :

  • une constante d’équilibre plus grande que 1 veut dire que l’équilibre est déplacé vers les produits, et une constante d’équilibre plus petite que 1 veut dire que l’équilibre est déplacé vers les réactifs ;
  • plus la constante d’équilibre est éloignée de 1, plus l’équilibre est fortement déplacé.


Ensuite, on peut aborder des exercices quantitatifs où l’on recherche les concentrations à l’équilibre, connaissant la valeur de la constante d’équilibre. Ce sont des exercices plus longs, où les élèves doivent utiliser un tableau d’avancement où l’une des concentrations est représentée par un “x” qu’il va falloir calculer, souvent grâce à une équation du second degré. C’est le moment où les élèves moins matheux se retrouvent en difficulté, et où on voit à quel point les élèves oublient vite des formules vues précédemment…

Le quotient réactionnel

Enfin, on peut terminer le chapitre en abordant la notion de quotient réactionnel, qui va permettre de prédire le sens d’évolution d’une réaction. Le quotient réactionnel se calcule de manière similaire à la constante d’équilibre, mais en utilisant des concentrations hors équilibre. En comparant les valeurs du quotient réactionnel et de la constante d’équilibre, on peut prédire que la réaction évoluera vers les produits si Q < K, et qu’elle évoluera vers les réactifs si Q > K. Certaines années, j’ai laissé cette partie en dépassement pour les élèves qui le souhaitent. J’ai créé une activité à réaliser en autonomie, seul ou en groupe, où les élèves peuvent découvrir par eux-mêmes le concept de quotient réactionnel et comprendre comment il permet de prédire le sens d’évolution d’un équilibre. Certains élèves ont donc vu ce concept, et d’autres pas. Dans l’évaluation, je mettais donc une question bonus et facultative où le quotient réactionnel doit être utilisé.



Avec tout ça, on devrait avoir fait un bon chapitre sur les équilibres chimiques, en abordant tous les points de matière indispensables. Si tu as du temps en plus, tu peux rajouter un laboratoire quantitatif, par exemple en réalisant une réaction d’estérification et en déterminant expérimentalement la constante d’équilibre de cette réaction. Mais de mon côté, je suis toujours à court de temps, et je n’arrive donc jamais à réaliser ce laboratoire dans mes heures de cours…


Donc ça, c’était la première façon de faire. On va maintenant passer à une deuxième façon, où j’aborde les choses dans un ordre fort différent.

Du quantitatif vers le qualitatif

Commencer par le plus compliqué

L’année dernière, j’ai tenté autre chose : plutôt que de commencer par le qualitatif et de terminer par le quantitatif, j’ai fait l’inverse. Après l’introduction que je t’ai présentée dans l’épisode précédent, où les élèves découvrent le concept d’équilibre dynamique, j’ai choisi de continuer le chapitre par ce que j’estime être le plus compliqué : j’ai montré aux élèves un exercice quantitatif où il faut déterminer les concentrations à l’équilibre. Et c’est seulement après que j’ai parlé du principe de Le Chatelier, d’abord théoriquement. On a enfin terminé le chapitre avec une expérience sur le déplacement d’un équilibre.


Pourquoi est-ce que j’ai décidé de changer d’ordre ? Tu t’en doutes peut-être, c’est en explorant différentes lectures que j’en suis arrivée à cette réflexion. En fait, en terminant par les exercices quantitatifs, les élèves terminent le chapitre par ce qui est, a priori, le plus difficile pour eux. Ils passent donc le moins de temps possible à travailler sur des exercices difficiles… alors que ce qu’il faudrait faire, c’est leur laisser un maximum de temps pour essayer de bien comprendre comment résoudre ces exercices, leur laisser l’occasion d’essayer chez eux, de poser des questions quand ils reviennent en classe et qu’ils ont eu des difficultés, pour que leur cerveau ait vraiment le temps de bien appréhender ces concepts et ces procédures de résolution d’exercices.


C’est une idée toute simple, mais à laquelle je n’avais en fait jamais pensé. J’ai l’habitude de commencer un chapitre “doucement”, par ce qui est plus facile, et petit à petit d’augmenter le niveau de difficulté. Mais en faisant cela, on ne laisse que peu de temps aux élèves pour travailler ce qui est le plus dur.


Cette progression (du plus simple vers le plus compliqué) semble plus facile du point de vue de l’élève, puisqu’il voit la difficulté augmenter progressivement. Mais en faisant l’inverse, et en commençant dès le début avec un gros challenge, on va permettre à l’élève d’appréhender dès le début le niveau attendu pour l’évaluation, et il aura finalement plus de temps pour vraiment bien s’y préparer. Et ce que disent les neurosciences, c’est que le cerveau a besoin de temps pour bien comprendre et maîtriser une matière nouvelle ; il faudrait donc laisser le plus de temps possible au cerveau des élèves pour travailler sur des exercices compliqués, et moins de temps sur des exercices plus simples.


Alors évidemment, les élèves vont probablement freiner des quatre fers quand on teste cette méthode pour la première fois ; ils n’ont pas l’habitude, et c’est bien normal qu’ils soient surpris. Il faut donc les accompagner, les prévenir qu’on commence par quelque chose de très difficile, mais qu’ils auront tout le temps nécessaire pour le comprendre. Et que c’est le truc le plus difficile du chapitre, qu’il n’y aura pas plus dur après, et que ça va même se simplifier. Et si on a plein de temps, on peut même leur expliquer pourquoi on fait ça, en expliquant comment fonctionne le cerveau (mais alors, il faut vraiment beaucoup de temps… et je sais que de mon côté, ça n’arrive jamais).

La constante d’équilibre avant Le Chatelier

En pratique, je commence donc pas leur expliquer ce qu’est la constante d’équilibre, et je leur montre comment les concentrations vont évoluer jusqu’à atteindre l’équilibre grâce à un exercice quantitatif, que je fais en démonstration au tableau, de A à Z.


C’est seulement après que j’aborde le principe de Le Chatelier, que les élèves peuvent faire un laboratoire pour vérifier ce principe et que je leur donne des exercices qualitatifs. Durant tout ce temps, l’idée est que les élèves en profitent pour s’améliorer sur les exercices quantitatifs. Il faut donc régulièrement revenir dessus, soit en classe, soit en devoir, par exemple en leur donnant un exercice quantitatif à réaliser chaque semaine, et en revenant dessus en classe si besoin, pour répondre à leurs questions.


Ce type de progression, je la teste dans plusieurs chapitres, mais c’est encore assez nouveau pour moi. Pour le chapitre sur les équilibres, je n’ai pas encore vraiment constaté une amélioration au niveau des résultats aux évaluations, mais je ne sais pas si ça veut dire quelque chose, vu que c’était un premier test de mon côté (donc j’étais probablement moins à l’aise que d’habitude) et que se baser sur une seule cohorte d’élèves pour voir si c’est vraiment mieux, c’est compliqué. Mais cette année, je sais que je vais retenter la même chose et voir comment ça se passe.

Osons tester des choses

Au final, je pense qu’il est toujours bon de tester de nouvelles choses, quelles qu’elles soient. Si on reste éternellement figé dans nos pratiques, on passera probablement à côté de certaines améliorations possibles, si seulement on avait osé se lancer !


J’en reviens à mon mantra : “Mieux vaut fait que parfait”. Mieux vaut tester une nouveauté imparfaite et voir si c’est mieux ou moins bien, que de rester constamment avec les mêmes préparations de cours qui n’évoluent jamais. En plus, personnellement, si je ne teste pas de nouvelles choses, je sais que je finis par m’ennuyer à donner encore et encore les mêmes cours ! Et ça ne fait même pas 10 ans que j’enseigne en secondaire… je n’ose pas imaginer après 20 ou 30 ans à toujours donner la matière de la même façon, sans jamais chercher à tester de nouvelles façons de faire !


La morale de cet épisode (ou en tout cas le message que j’avais envie de te faire passer), c’est qu’il vaut mieux essayer quelque chose de nouveau et se planter, plutôt que de ne jamais rien tester et de ne jamais s’améliorer. Et en plus, tester des choses qui semblent être positives d’un point de vue de la recherche et du fonctionnement du cerveau, c’est mettre toutes les chances de son côté pour que ça se passe mieux !

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