Je n’arrive pas à terminer le programme !

Aujourd’hui, je voulais te parler un peu de ce fameux programme.


Le programme imposé par la communauté française et que l’on est censé voir avec les élèves.


Le programme qui nous impose de voir une quantité énorme de matière, quel que soit le niveau des élèves qu’on a en face de nous.


Le programme qu’il est clairement impossible de terminer, sauf peut-être si tu es dans une école qui trie ses élèves et qui ne garde que ceux qui sont capables de réussir en suivant ce rythme imposé

.

Le programme qui a été décidé par un petit groupe de personnes, qui ne sont peut-être plus tout à fait au courant de comment cela se passe, en vrai, dans la majorité des classes.


Le programme qui nous impose de voir nos chapitres dans un ordre précis, et qui bride parfois nos envies.


Le programme qui n’a parfois absolument pas de sens à nos yeux, ni aux yeux de nos élèves.


Bref, le programme.



On arrive à ce moment de l’année où je me dis que je n’arriverai jamais à le terminer, ce programme. Et chaque année, c’est la même chose.


Comme je n’ai encore jamais rencontré la moindre prof qui me dise qu’elle n’a absolument aucun souci à terminer le programme, je me dis qu’il y a des chances que toi non plus, tu n’arrives pas à terminer ton programme.


Mais puisqu’on est toutes dans le même bateau, est-ce qu’il ne serait pas du côté du programme, le problème, plutôt que du nôtre?


Aujourd’hui, je voudrais qu’on prenne tous ensemble conscience que ce n’est pas possible de terminer le programme dans les conditions de travail qu’on nous impose.


Car ce programme, il est déterminé en imaginant que tous les élèves intègrent parfaitement la matière vue auparavant, et qu’ils l’ont bien fraîchement dans leur mémoire lorsqu’on aborde un nouveau chapitre. Hors, c’est loin d’être le cas.


Le programme, il suppose que tous les prérequis ont été vus les années précédentes, mais comme on est toutes dans la même galère, le programme des années précédentes n’a pas non plus été bouclé.


Le programme, il oublie tous les moments où les élèves sont censés être en classe, mais où ils n’y sont en fait pas, car ils sont en sortie, ou car nous sommes en journée de formation ou en réunion pédagogique, ou bien encore il y a des activités organisées par ton école à la place des cours. Est-ce que tu as déjà compté le nombre de semaines de cours réel sur une année, en opposition au nombre de semaine supposé ? En pratique, je compte que j’ai environ 20% de mes cours qui disparaissent sur une année.

20%. C’est énorme.



En fonction de ton école, tu as peut-être d’autres contraintes qui t’imposent un rythme encore plus lent que ce qui est attendu par le programme :

  • si tu as une population défavorisée, il y a de fortes chances que le rythme des apprentissages soit ralenti ;
  • si tu es dans une école à pédagogie active, le fait de devoir faire des activités de découverte ou de mener des projets spécifiques peut empiéter sur ton temps de cours, et donc diminuer le rythme des apprentissages ;
  • si tu es dans une école qui manque cruellement d’enseignants (car en temps de pénurie, ça arrive beaucoup plus qu’on ne le croit), tu te retrouves face à des élèves qui n’ont pas eu cours dans ta matière sur plusieurs mois, voire même sur plusieurs années ;
  • si tu es dans une école qui tend à ne pas donner de devoirs, comme on l’a vu dans l’épisode 43, le rythme des apprentissages sera ralenti.

Mais du coup, en sachant tout cela, est-ce qu’on devrait vraiment continuer à culpabiliser de ne pas arriver à voir tout le programme ?

Comme on dit, à l’impossible nul n’est tenu.


Et il me semble qu’on est clairement dans le cas d’une mission impossible ; mais réellement impossible.


Il faudrait peut-être se poser une autre question ; qu’est-ce que je préfère prioriser ?


Est-ce que je préfère prioriser l’idée de voir toute la matière imposée par le programme, peut-être au détriment de la qualité de mes cours, ou de la compréhension de mes élèves ?


Est-ce que je préfère prioriser certaines parties du programme, que je trouve plus importantes pour une raison ou pour une autre ? Est-ce qu’il vaut mieux passer plus de temps sur certains chapitres quitte à en oublier totalement d’autres ?


Est-ce qu’il vaut mieux passer à travers tous les chapitres, mais en omettant certaines notions à chaque fois ?


Est-ce qu’il vaut mieux modifier sa façon de donner cours, par exemple en faisant moins d’activités ludiques ou en donnant plus de devoirs, afin d’arriver à voir plus de matière ?


Je ne pense pas qu’il existe une réponse unique à ces questions.

En fonction de ton école, de l’année dans laquelle tu enseignes, en fonction de ta sensibilité personnelle et des élèves que tu as en face de toi, la réponse va être différente.



Je peux par contre te partager ma réponse personnelle, dans ma situation, et pour chaque cours que j’enseigne. Car ma réponse n’est pas la même pour chaque cours.



Je donne cours de chimie aux élèves de rhéto, ou terminale. C’est leur option, et certains d’entre eux visent de continuer avec des études universitaires dans le domaine scientifique. Certains d’entre eux vont avoir un examen d’entrée pour avoir accès à ces études (par exemple pour faire des études de médecine ou vétérinaire).


Pour ce cours-là, mon choix est donc de garder un rythme élevé, de leur donner des devoirs très régulièrement et de ne passer à travers tous les chapitres du programme, coûte que coûte. J’ai par contre sélectionné certaines notions dans chaque chapitre que je ne fais pas avec toute la classe, mais que je propose comme activité facultative pour les élèves qui le souhaitent. Ceux qui ont déjà des difficultés ne sont pas obligés de s’y frotter, mais les élèves qui veulent aborder le plus de matière possible peuvent le faire. Pour arriver à faire cette différenciation, je leur laisse des moments de travail en autonomie où chacun peut choisir sur quoi il travaille.


Je fais le choix également d’insister sur les laboratoires. Ceux qui vont poursuivre des études scientifiques auront besoin de savoir manipuler correctement et d’être à l’aise en situation de laboratoire. J’ai eu la chance d’avoir des échos d’anciennes élèves qui ont pu me confirmer que le fait d’avoir réalisé plusieurs laboratoires leur a permis d’être à l’aise et d’avoir un avantage par rapport à d’autres étudiants venus d’autres écoles. C’est quelque chose que je peux faire en secondaire et qui ne peut qu’être fait en classe. Et pour les élèves qui ne continueront pas les sciences ensuite, les laboratoires sont de toute façon très attendus et appréciés !


En rhéto, c’est donc l’année où mes élèves manipulent le plus. Pour me laisser le temps de faire ces laboratoires, les moments d’exercisation et de drill sont réalisés majoritairement à domicile. Et pour ne pas surcharger les élèves, je ne demande presque pas de rapports de laboratoire, qui sont chronophages à rédiger (et à corriger) ; si les élèves sont arrivés en rhéto, je sais qu’ils ont déjà dû rédiger pas mal de rapports de laboratoire les années précédentes, je considère donc que leur temps devrait plutôt être consacré à d’autres choses.


ça c’est pour les rhéto.



L’année précédente, en 5e donc (ou première pour nos amies françaises), je fonctionne de la même façon pour ceux qui ont choisi l’option scientifique.


Les années précédentes, j’ai toujours dû laisser tomber certaines parties du programme, car les élèves arrivent en 5e avec du retard accumulé les années précédentes ; beaucoup arrivent sans savoir résoudre un problème stœchiométrique, et je dois donc passer du temps à revoir tout ça, car c’est indispensable pour la suite. Du coup, je n’ai jamais réussi à enseigner le chapitre sur la cinétique des réactions chimiques… et je n’ai jamais culpabilisé plus que ça, car je pense qu’il est plus important de savoir résoudre un problème stœchiométrique que d’avoir des notions de cinétique chimique. La cinétique, c’est un chapitre qu’on ne réutilise pas après, et qui peut facilement se découvrir lors des études supérieures pour les élèves concernés. Et pour les élèves qui le souhaitent, je leur propose de leur donner un support de cours pour découvrir la matière en autonomie à domicile. Mais cette année, c’est la bonne ! Je vais ENFIN donner cours de cinétique pour la première fois ! Enfin, s’il n’y a pas de mauvaise surprise qui arrive d’ici là…



Et puis il y a les cours de sciences de base en 5e et 6e année, donc pour les élèves qui n’ont pas choisi l’option scientifique, et que ne feront donc à priori pas d’études scientifiques ensuite. Pour ces cours-là, mon raisonnement est tout autre. Puisqu’ils n’auront plus besoin de sciences pour poursuivre leurs études, la pression du programme est bien moindre. Et en fonction du groupe d’élèves qu’on a devant nous, on peut même se retrouver devant une classe qui n’est vraiment pas intéressée par les sciences.


Dans ce cas, j’ai toujours fait le choix de prendre plus de temps, de conserver un maximum d’activités plus ludiques, de faire un maximum de mise en contexte et d’oublier systématiquement plusieurs chapitres. Est-ce que c’est vraiment pertinent que ces élèves sachent résoudre un problème stœchiométrique ? Est-ce qu’ils ont besoin de savoir calculer un angle de réfraction ? Je pense que non. J’ai donc une approche très différente dans ces cours, et je laisse tomber pratiquement toutes les parties calculatoires. Et si tout un chapitre doit disparaître, je m’assure juste que ce soit le même pour les autres classes afin de ne pas avoir de soucis l’année suivante, si les classes sont mélangées entre elles.


Pour mon cours avec les 4e secondaire (donc les élèves de seconde), c’est un peu particulier. Dans notre école, tous les élèves ont 3 heures de sciences par semaine, et ceux qui ont pris l’option sciences ont 2 heures supplémentaires. Je dois donc donner deux cours en parallèle, parfois aux mêmes élèves, parfois à des élèves différents, mais avec des exigences différentes.


Durant les 3 heures de tronc commun, donc communes à tous les élèves, je m’efforce de voir toute la matière nécessaire car là-dedans, il y a des élèves qui choisiront une filière scientifique l’année suivante. Par contre, il y a aussi des élèves qui feront le choix inverse… mais comme il faut donner un même cours à tous ces élèves, je choisis de faire le maximum pour préparer au mieux ceux qui seront en option scientifique après. Je sais que si je ne vois pas certains chapitres, c’est du retard qui s’accumule pour après. Mais je sais aussi que certains élèves, ceux qui ne choisiront pas les sciences, n’utiliseront plus jamais certaines notions que je vois. Je choisis donc d’être plus flexible dans ma façon d’évaluer. Les élèves pourront “facilement” être en réussite dans ce cours, même s’ils ne maîtrisent pas forcément toute la matière sur le bout des doigts, afin de permettre à tous ceux qui ne continueront pas en option scientifique de s’en sortir sans problème, par contre, pour avoir de bons voire de très bons résultats, là il va falloir vraiment maîtriser tous les concepts vus. Je mets donc en place une sorte de différenciation au niveau de ce que j’attends de chaque élève. Tous les élèves ne vont pas réellement voir et maîtriser tout le programme. Mais ceux qui en ont besoin pour la suite auront au moins eu la possibilité de le faire.


Un dernier cas de figure fort différent est le cours que j’ai déjà donné en 1re secondaire (début du collège pour les Français). À ce niveau-là, je pense que terminer le programme est beaucoup moins important, et aussi beaucoup moins compliqué. La matière vue sera, pour la majorité, revue plus en profondeur plus tard.


Le programme couvre surtout de la biologie, et chaque fois que j’en ai parlé avec des collègues biologistes, ils m’ont affirmé que c’était beaucoup moins grave de ne pas voir certaines parties de la matière, car les chapitres sont plus souvent indépendants les uns des autres - à l’exception de tout ce qui touche à la cellule.


En 1re secondaire, il n’y a pas encore de chimie, donc de ce côté-là, il n’y a aucune perte possible. Et pour ce qui est de la physique, les principes abordés le sont de manière uniquement qualitative, puisque les élèves n’ont pas encore les outils nécessaires d’un point de vue mathématique pour réellement utiliser des formules. Or, c’est plutôt de ce côté-là que les soucis arrivent plus tard. J’ai donc l’impression que tant que les élèves sont en 1re ou 2e secondaire, ce n’est pas le contenu du programme qui est vraiment important, mais plutôt le fait de leur donner de bonnes habitudes de travail, de faire attention à la rigueur et à l’exigence qu’on attend d’eux, à leur apprendre à se poser les bonnes questions, à comprendre des documents ou à analyser des graphiques, et c’est seulement à partir de la 3e secondaire que la matière va commencer à s’accumuler, et à former une pyramide dont les bases seront indispensables pour la suite.


Alors évidemment il y a l’épreuve du CE1D qui arrive en fin de 2e année, mais il n’y a en réalité que peu de matière que les élèves doivent maîtriser pour le réussir, puisqu’il s’agit surtout d’analyse de documents et de réflexion.



Une autre réflexion que j’ai envie de te partager, c’est le fait de donner cours en pédagogie active, et de devoir faire le même programme que dans une pédagogie plus classique.


Plus j’y réfléchis, et plus j’en arrive à cette conclusion (mais peut-être que tu ne seras pas d’accord avec moi) : la pédagogie active, c’est génial avec les plus jeunes, mais plus on monte dans les années, plus il devient difficile, et je dirais même impossible, de combiner pédagogie active et programme scolaire, en tout cas en sciences et en mathématiques.


Mon vécu en tant qu’élève a commencé cette réflexion : en primaire et en début de secondaire, il y avait énormément d’activités de découverte, on partait des envies et des idées des élèves, on faisait des activités interdisciplinaires, et ça faisait totalement sens. Et puis, quand on a commencé à pouvoir choisir des options, en 3e et 4e secondaire, les choses ont commencé à changer dans certains cours. On se spécialise, on utilise de plus en plus d’abstrait en cours de maths et de sciences. On accumule de plus en plus d’outils mathématiques que l’on doit maîtriser, on doit retenir un savoir de base indispensable et qu’il faut mobiliser lors des prochains chapitres ou des années suivantes. Et pour arriver à se souvenir de tout cela, il n’y a pas de secret ; il faut pratiquer, encore et encore. Quand je me remémore mes cours de sciences et de maths de fin de secondaire, nous faisions beaucoup de séances d’exercices. La théorie nous était transmise directement, après une petite introduction sympa ou une mise en situation “pour dire que”. Mais au final, le prof faisait beaucoup de transmissif, car pour nous former correctement, il faut en passer par là.


Quand j’ai commencé à enseigner, j’ai conçu des activités de découverte ou des activités ludiques pour aborder certaines notions. C’était chouette, mais j’ai bien dû me rendre à l’évidence ; cela prend beaucoup plus de temps, et les élèves préfèrent le transmissif quand il s’agit de matière dense et compliquée. J’ai donc préféré conserver un minimum de ces activités mangeuses de temps et être plus efficace dans mon enseignement, quitte à faire moins de mise en situation et de découverte. Et de toute façon, mes lectures m’ont confirmé que la pédagogie de la découverte est loin d’être la pédagogie la plus efficace.


Bref.

Ma conclusion du jour, c’est que tu ne dois pas culpabiliser parce que tu ne termines pas le programme. Tu fais de ton mieux pour tes élèves, avec les outils et les contraintes dont tu disposes.


Si tu cours après le temps, pose-toi 5 minutes pour réfléchir au choix que TOI tu veux faire pour tes élèves. Qu’est-ce qui est le plus important pour chacune de tes classes ?


Trouver le moyen de travailler plus vite, plus efficacement, et faire un chapitre de plus ?


Ou prendre le temps de voir de la matière à leur rythme, et tant pis s’ils ne voient pas tout ?


Tu es la seule personne qui peut répondre à cette question.

Et ta réponse ne doit pas forcément être la même que la mienne.

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