La pédagogie de la découverte

Mon parcours scolaire s’est déroulé du début à la fin dans des écoles à pédagogie active. Ma mère a enseigné toute sa carrière en pédagogie active. J’ai passé toutes mes maternelles, mes primaires puis mes secondaires dans une école à pédagogie active. On peut donc dire que je suis tombée dans la marmite des pédagogies actives toute petite.


Mais je suis aussi tombée dans la marmite des sciences très jeune, ayant deux parents scientifiques. J’ai finalement moi aussi fait des études scientifiques, puis une thèse en didactique de la chimie. C’est donc tout naturellement que j’ai appris à me baser sur la science, sur les études publiées dans des revues scientifiques et vérifiées par les pairs, pour prendre tout un tas de décisions.


Quand j’ai commencé à enseigner, j’ai simplement reproduit l’enseignement que j’avais toujours reçu, puisqu'il avait très bien fonctionné sur moi. J’ai expérimenté la pédagogie de la découverte en tant que prof, après l’avoir expérimentée en tant qu’élève. Après tout, tout le monde l’encense dans le monde de l’éducation - c’est que ça doit fonctionner !


En dehors de mes heures de cours, je lisais de plus en plus de livres et d’articles sur les pédagogies. Plutôt que de me tourner vers les livres des "gourous" ayant fondé telle ou telle pédagogie, comme Freinet, Decroly, Montessori et compagnie, j’ai préféré me tourner vers des livres scientifiques, des méta-analyses d’articles ou encore des livres de neurosciences. Plus je lisais, plus je trouvais d'arguments contre la pédagogie de la découverte.


La scientifique qui est en moi n’avait qu’une envie : croire les résultats de ces études. Mais alors, pourquoi cette méthode a-t-elle fonctionné pour moi ? Pourquoi est-ce que tant de profs la pratiquent ? Pourquoi est-ce qu’on nous l’enseigne dans nos études pour devenir enseignant ? Est-ce que c’est bénéfique aux apprentissages ou pas, pour finir ?


J’ai voulu essayer de mettre un peu d’ordre dans mes pensées, et ce que je te raconte aujourd’hui en est le résultat.



C’est quoi, la pédagogie de la découverte ?

La pédagogie de la découverte, c’est une méthode d’enseignement qui se base sur l’idée que les élèves vont mieux apprendre la matière s’ils la découvrent par eux-mêmes. C’est une idée tout à fait censée, puisque l’évolution de notre société est largement basée sur les découvertes que les hommes et les femmes ont réalisées tout au long de l’histoire. On voudrait donc que les élèves passent par le même chemin et (re)découvrent eux-mêmes le savoir que l’on veut leur enseigner.


Le rôle de l’enseignant est donc de construire des activités, les plus authentiques possibles, qui mettent l’élève dans la situation idéale où il peut découvrir ce savoir. Si la situation est intéressante du point de vue de l’élève, il aura la motivation de se lancer dans la découverte de cette nouvelle notion et sera ainsi actif dans son apprentissage.


Ça, c’est la théorie.



Les intérêts de la pédagogie par la découverte

Si la pédagogie de la découverte a autant été vantée, c’est qu’elle présente des intérêts. Ses défenseurs parlent des avantages suivants : le plus cité est évidemment que l’élève est actif dans ses apprentissages ; il est impliqué dans le processus d’exploration et de construction de ses connaissances. Et nous savons tous qu'un apprentissage actif favorise l’apprentissage.


Les élèves sont également motivés puisqu’ils peuvent explorer par eux-mêmes. On développe la pensée critique des élèves et leurs compétences de résolution de problèmes, puisqu’ils sont incités à analyser, évaluer et appliquer leurs connaissances. Cette pédagogie facilite également le transfert des connaissances acquises à de nouveaux problèmes, en faisant plus de liens entre les connaissances acquises et les savoirs antérieurs, ce qui favorise une compréhension plus approfondie.


Tout cela semble donc très prometteur, et il est tentant, en tant que prof, de vouloir mettre en place ce genre de pédagogie, si elle permet de développer tout cela chez nos élèves.


Mais voyons également quelles sont les limites ou les inconvénients de la pédagogie par la découverte.



Les limites de la pédagogie par la découverte

La pédagogie de la découverte, cela prend beaucoup de temps. Et malheureusement, le temps est limité, surtout quand on avance dans les études, qu’on s’approche de la 6e secondaire (ou de la Terminale), et encore plus lorsqu’on ne voit nos élèves qu’1h30 par semaine. Découvrir une notion par soi-même prend plus de temps que l’apprendre directement.


Le cours peut également sembler manquer de structure pour certains élèves, puisque chacun avance dans la direction qu’il souhaite lors de la phase de découverte. Certains élèves peuvent avoir besoin d’être mieux guidés et se sentir perdus s’ils n’y arrivent pas tout seuls, ou avec leur groupe.


Le savoir acquis peut ne pas être celui que l’on visait en tant qu’enseignant. L’élève peut trouver une méthode qui lui semble correcte alors qu’elle ne l’est en fait pas, et ancrer cette première méthode dans son cerveau. Il sera alors encore plus difficile de lui faire apprendre la méthode ou le savoir correct ensuite.


Un autre facteur qui me semble primordial, surtout quand on sait que les pédagogies de la découverte sont portées par des pédagogues qui prônent l’égalité des chances dans l’enseignement et qui souhaitent que l’on porte une attention supplémentaire aux élèves issus de milieux défavorisés, c’est justement le fait que la pédagogie de la découverte met encore plus en avant les inégalités entre élèves. Pour être à même de découvrir un nouveau savoir, il faut au préalable bien maîtriser tout un tas de prérequis. Les élèves maîtrisant ces prérequis vont être capables de mener à bien leur activité de découverte, d’autant plus que ces élèves sont typiquement ce que l’on appelle des “bons élèves”, qui ont bien ancré les règles du jeu scolaire et qui sont à l’aise dans ces activités. À l’opposé, les “mauvais élèves” ont cette double difficulté ; ils n’ont pas les prérequis leur permettant de découvrir de la nouvelle matière, et ils ne maîtrisent pas les attentes implicites de l’école.


Partant d’une idée sympa, on a en fait poussé la pédagogie de la découverte trop loin. On propose aux élèves des situations qui n’ont plus rien de didactique ; ils doivent deviner trop de choses tout seuls, ils ne comprennent pas ce qu’on veut leur apprendre. Lorsqu’on “enrobe” l’apprentissage avec une activité qui se veut soit authentique, soit ludique, en tout cas qui a pour but de booster la motivation des élèves et de rendre l’activité attractive, on prend le risque que les élèves passent à côté du but premier de l’apprentissage, et qu'ils se concentrent plutôt sur le côté ludique de l’activité, par exemple. Lorsqu’on propose un jeu à visée pédagogique, certains élèves vont arriver à comprendre que le but premier est l’apprentissage d’un savoir, et que le jeu n’est que secondaire. Ils vont pouvoir se concentrer sur l’acquisition de ce savoir. Mais d’autres élèves ne vont pas comprendre ces deux niveaux et vont rester focalisés sur les moyens de gagner le jeu, par exemple, et passer à côté de l’apprentissage visé. Et comme toujours, ce sont plutôt les élèves issus de milieux défavorisés qui sont concernés.


Une situation d’apprentissage, que ce soit par la découverte ou grâce à une situation problème, ne peut mener à un apprentissage qu’à deux conditions :

- si la situation est à leur portée, que ce soit parce que le but à atteindre est très proche de leurs connaissances ou parce qu’ils sont guidés par l’enseignant.

- si la connaissance à apprendre est explicitée, avant, pendant et après l’apprentissage.


Ces deux conditions sont donc à bien garder en tête si l’on veut continuer à utiliser la pédagogie de la découverte avec nos élèves. Il ne faut faire que des découvertes “faciles”, avec une toute petite connaissance nouvelle ; il faut guider les élèves, et il faut dire concrètement ce que l’activité proposée va permettre d’apprendre.


Prenons quelques exemples issus d’études publiées dans des revues scientifiques pour voir quelques cas concrets.



La démarche d’investigation ou démarche scientifique

En sciences, on doit enseigner la démarche d’investigation aux élèves. L’idée de départ est de faire “vivre” aux élèves la même démarche que celle que les scientifiques utilisent dans leur vie quotidienne. En tant qu’enseignant, on conçoit donc des situations où les élèves sont confrontés à un problème, ils doivent émettre une ou plusieurs hypothèses, les tester expérimentalement, puis en tirer des conclusions sur le problème de départ.


Beaucoup d’études ont été réalisées sur l’utilisation de la démarche d’investigation auprès des élèves. La conclusion d’une méta-analyse sur ce sujet, c’est qu'enseigner la démarche d’investigation a un effet positif sur l’apprentissage de la démarche d’investigation (c’est-à-dire que les élèves comprennent mieux ce qu’est le principe d’une démarche d’investigation), et que les effets sont encore plus positifs lorsque c’est l’enseignant qui conduit l’activité, car ce n’est pas forcément efficace lorsque ce sont les élèves qui réalisent l’activité en autonomie.


Ces études montrent également que l’utilisation de la démarche d’investigation n’est pas particulièrement efficace lorsque le but est d’apprendre un savoir scientifique. Et ça, j’en ai été témoin de nombreuses fois dans mes classes ; les élèves font un laboratoire en autonomie et doivent en tirer des conclusions… mais tout ce qui leur importe, c’est d’arriver au bout de la tâche et de rédiger un rapport de laboratoire qui leur vaudra des bons points. La compréhension de ce qui a été fait est secondaire.


En bref, enseigner la démarche d’investigation, c’est bien pour apprendre la démarche d’investigation, mais ça n’a pas d’effet positif sur l’apprentissage d’un savoir.



Comparaison entre deux groupes d’élèves

De très nombreuses études ont également comparé les résultats de deux groupes d’élèves dans une tâche de résolution de problèmes. Un premier groupe d’élèves recevait tout d’abord un problème, avec sa solution. Il devait étudier ce premier problème résolu, puis en résoudre d’autres. Un second groupe d’élèves recevait les mêmes problèmes à résoudre, mais sans la solution au premier problème ; ils devaient donc découvrir seuls la solution au premier problème aussi.


Cette étude a été reproduite des centaines de fois, avec des élèves d’âges différents, dans des disciplines différentes, dans des pays différents. Le résultat est toujours le même : le premier groupe réussit mieux lorsqu'il est testé sur la résolution d’un problème similaire par la suite. On remarque également que la plus grande différence se trouve chez les élèves qui ont le plus de difficultés au départ, alors que la différence tend à diminuer plus le niveau initial des élèves est élevé.



La demande d’aide

Une autre approche a également été explorée : l’utilisation de l’aide lors de la phase de découverte. Plutôt que de laisser l’élève livré à lui-même en phase de découverte, on lui propose de l’aide (que ce soit par le biais de l’enseignant ou d’un autre élève). Les résultats des études sur ce type d’approches ont montré qu’elles ne sont pas plus bénéfiques pour les élèves en difficulté, car les élèves qui ont le plus besoin d’aide sont en général ceux qui sont le moins pertinents dans leur demande d’aide. Certains n’osent pas demander d’aide, de peur de poser des questions “bêtes”, alors que d’autres “sur-demandent” de l’aide, n’osant pas se lancer seuls dans la recherche de la réponse, ce qui revient finalement à leur expliquer directement comment résoudre le problème.


Je pourrais encore citer plein d’études et plein d’exemples, mais je vais m’arrêter là.


Pour résumer, la pédagogie de la découverte pose plusieurs problèmes qui devraient nous faire réfléchir avant de nous lancer dans son utilisation :

- Elle n’est pas efficace : les apprentissages des élèves sont moins larges, moins structurés, moins solides, moins profonds et moins transférables que ceux réalisés par une pédagogie plus explicite.

- Elle mène à plus de conceptions erronées : les élèves cherchant les réponses par eux-mêmes peuvent prendre des “mauvais chemins”, qui seront plus difficiles à enlever de leur mémoire ensuite.

- Elle place les élèves en situation de surcharge cognitive : ils doivent réaliser deux tâches simultanées (apprendre à résoudre un problème ET apprendre un nouveau savoir).

- Elle ne permet pas aux élèves de résoudre efficacement des problèmes, car elle ne montre pas aux élèves la méthode adéquate pour y parvenir.

- Elle est particulièrement néfaste pour les élèves qui sont plus faibles et qui viennent de milieux moins favorisés, alors qu’elle est plutôt bénéfique pour les bons élèves, ce qui tend encore à augmenter les inégalités entre élèves.


Cependant, ce n’est pas une méthode qui ne fonctionne pas du tout. En matière d’éducation, presque toutes les méthodes “fonctionnent”. C’est une synthèse de plus de 800 méta-analyses, reprenant 50 000 études auxquelles ont pris part des dizaines de millions de participants, qui le dit. Cela me semble donc être une source intéressante.


Cette synthèse classe énormément de critères ou de variables en fonction de leur impact sur l’apprentissage des élèves, sur la base d’un indice élaboré par l’auteur, l’indice “d”. En dessous de 0, le critère en question a un effet négatif ou nul sur l’apprentissage. De 0 à 0,4, le critère a des effets positifs, mais trop légers que pour être préconisés aux enseignants. C’est seulement au-delà d’une valeur de d 0,4 que le critère a réellement un impact positif significatif sur les apprentissages. Plus la valeur de d est élevée, plus l’impact est important.


Tous les critères que l’on peut relier à ce qu’on appelle la pédagogie de la découverte, c’est-à-dire l’enseignement inductif, l’enseignement fondé sur l’enquête, l’enseignement fondé sur les problèmes, ont une valeur de d positive mais bien inférieure à 0,4. Bien qu’elles puissent fonctionner, ce ne sont donc pas des pédagogies à préconiser pour favoriser l’apprentissage.


Nous voilà bien.


Ce qu’on nous a toujours dit de faire n’est pas réellement efficace. Et ce n’est vraiment pas efficace pour les élèves les plus faibles. C’est la science qui le dit, en se basant sur de solides études, réalisées partout dans le monde, sur des millions d’élèves.


Que fait-on alors ?


Et si nous allions explorer le reste de cette liste de critères qui permet de favoriser l’enseignement. Quels sont les critères qui ont une valeur de d bien supérieure à 0,4 et que l’on devrait utiliser dans nos classes ?


Je te propose d’en parler en détails dans le prochain article.




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