Les piliers de la pédagogie Decroly

Aujourd'hui, je vais te parler d'une méthode pédagogique qui a façonné l'apprentissage de nombreux élèves, y compris le mien : la pédagogie Decroly. Ayant eu la chance de passer toute ma scolarité dans l’école Decroly de Bruxelles, je suis ravie de partager avec toi non seulement les principes théoriques de cette méthode, mais aussi des exemples concrets tirés de mon expérience personnelle.

La pédagogie Decroly, du nom de son fondateur Ovide Decroly, est une approche globale et holistique de l'éducation. Mais qu'est-ce que cela signifie exactement ? Eh bien, cela veut dire qu'elle prend en compte l'enfant dans sa totalité, en intégrant ses dimensions intellectuelle, physique, émotionnelle et sociale. Cette méthode met l'accent sur les besoins et les intérêts des enfants, et repose sur des principes tels que l'apprentissage par l'observation, l'association et l'expression. Elle valorise également le développement des compétences sociales et intellectuelles des élèves dans un environnement interdisciplinaire et coopératif.

Je ne pourrai certainement pas te faire un portrait exhaustif de la pédagogie decrolyenne en un épisode de podcast, mais je vais commencer par t’expliquer certains grands principes de cette pédagogie dans un premier épisode, et la semaine prochaine, je te parlerai plus en profondeur de certaines pratiques marquante à Decroly.

Commençons par le premier principe fondamental de la pédagogie Decroly : la globalisation. La globalisation est le principe selon lequel les enfants apprennent mieux en percevant d'abord les objets et les événements dans leur ensemble avant de les analyser en détails. Cela permet aux élèves de comprendre le contexte général avant de se plonger dans les spécificités.

À l'école Decroly, chaque année est structurée autour de grands fils conducteurs que l’on nomme “centre d’intérêt”, qui correspondent aux besoins naturels de l'enfant. Par exemple, en primaire, les fils conducteurs sont 'Je me nourris', 'Je me protège', 'Je travaille', et 'Je me défends'. Un thème est exploré par toute l’école durant la même année scolaire et n’est donc pas spécifiquement attaché à un niveau spécifique. On peut donc aborder n’importe quelle thème en 3e, 4e, 5e ou 6e primaire. L’année suivante, toute l’école passe sur un autre thème. Les enseignants doivent donc s’adapter chaque année à un nouveau thème, même s’ils restent dans le même niveau d’enseignement.

Par exemple, lors de l’année 'Je me nourris', nous explorions ce sujet sous différents angles. Nous apprenions d'où viennent les aliments, comment ils sont cultivés, et quels sont leurs rôles dans notre nutrition, nous avons étudié le processus de photosynthèse et visité une ferme pour voir comment les légumes étaient cultivés, nous avons discuté des différents climats nécessaires pour cultiver divers types de nourriture à travers le monde.

Cette approche globale nous permettait de comprendre le thème de manière intégrée et d'apprécier les connexions entre différentes matières. Cela rendait l'apprentissage plus significatif et motivant pour nous.

Passons maintenant à une composante essentielle de la pédagogie Decroly : le développement intellectuel de l’enfant. Cette approche repose sur l'exploitation coordonnée de trois facultés fondamentales : l'observation, l'association et l'expression.

L'observation est la première étape de toute activité intellectuelle. Elle permet un contact direct et motivant avec la réalité des choses et des êtres. En encourageant les élèves à observer attentivement leur environnement, nous posons les bases de leur compréhension du monde. Les élèves sont amenés à observer des phénomènes naturels, des objets et des êtres vivants. Ces observations sont le point de départ de leur réflexion et de leur apprentissage.

L'observation est mise en œuvre de manière adaptée à chaque niveau scolaire à l'école Decroly. En voici quelques exemples concrets tirés de mon expérience et des pratiques courantes de l'école.

Pour les plus jeunes, dès la maternelle, l'observation commence souvent par l'exploration libre de leur environnement immédiat. Les enseignants encouragent les enfants à toucher, sentir et regarder attentivement les objets autour d'eux. Une activité courante est la surprise, où les enfants apportent des objets qui seront le point de départ d’une observation utilisant leurs 5 sens. Je parlerais plus en détails de cette pratique plus tard.

En primaire, l'observation devient plus structurée et approfondie. Une pratique régulière est le dessin d'observation où les élèves vont tenter de reproduire le plus fidèlement possible ce qu’ils observent. Par exemple, lors d'une leçon sur les plantes, chaque élève peut observer une fleur et en faire un dessin précis, en respectant les proportions et en essayant de capturer tous les détails visibles. Ou encore lors d’une dissection, chacun réalisera un dessin d’observation de l’animal ou de l’organe disséqué. Ensuite, la comparaison des dessins avec des schémas légendés permet de mieux visualiser les différents organes. Cela renforce non seulement leurs compétences en dessin et leur compréhension scientifique, mais cela permet surtout d’aiguiser leur oeil et leur sens de l’observation.

Au secondaire inférieur, l'observation se complexifie encore. Les cours de sciences incluent souvent des séances de laboratoire où les élèves observent des phénomènes naturels et conduisent des expériences. En plus du dessin d’observation, toujours régulièrement utilisé, on ajoute des observations sur ces expériences, qui mènent ensuite les élèves à devoir réfléchir pour expliquer ce qu’ils ont observé. On entre petit à petit dans une démarche scientifique plus complexe.

Enfin, quand les élèves arrivent au secondaire supérieur, l'observation devient plus analytique, mais reste dès que possible la base à tout apprentissage.

Une fois les observations réalisées, la deuxième faculté fondamentale intervient : l’association.

L'association vient ensuite. Elle consiste à intégrer les faits observés dans les connaissances antérieures et à susciter de nouvelles investigations par des comparaisons et des hypothèses d'explication. Ce principe repose sur l'idée que l'apprentissage est plus efficace lorsque les élèves peuvent relier de nouvelles informations à des connaissances préexistantes. L'association permet aux enfants de comprendre les liens entre différents concepts et disciplines, enrichissant ainsi leur compréhension globale.

À l'école Decroly, l'association est particulièrement mise en avant dans les cours de sciences humaines, où les matières comme l'histoire et la géographie sont enseignées de manière intégrée, par un seul enseignant, sous le nom de cours d’“association”, en 7e et en 8e année. C’est le moment pour te préciser comment les années sont nommées à Decroly : après les trois années de maternelle (petit, moyen et grand jardin d’enfant), les élèves arrivent en 1e primaire et évoluent petit à petit jusqu’à la 6e primaire. En secondaire, le compte continue et la 1e secondaire est appelée la 7e année, puis la 8e, etc jusqu’à la dernière année du secondaire qui est la 12e. Il faut donc faire une petite “traduction” lorsqu’on a l’habitude de compter comme dans les écoles classiques, de 1 à 6 en primaire, puis de nouveau de 1 à 6 en secondaire. Et si tu viens de France, alors c’est encore plus différent! Je te laisse faire la traduction toi-même.

Mais revenons à l’association et voyons comment ce principe est mis en œuvre à différents niveaux scolaires.

Dès la maternelle, les activités d'association sont simples mais significatives. Par exemple, après avoir observé des feuilles d'arbres lors d'une promenade, les enfants peuvent les trier par forme, couleur et taille. Ils apprennent ainsi à associer ces caractéristiques à des types d'arbres spécifiques. Une autre activité peut être de raconter une histoire liée à une observation faite, comme une fable sur un animal qu'ils ont vu, associant ainsi les éléments observés à des concepts littéraires et moraux.

En primaire, l'association devient plus structurée. Lors du thème 'Je me nourris', les élèves peuvent associer des aliments à leurs pays d'origine, en apprenant à situer ces pays sur une carte. Par exemple, après avoir observé et dessiné des fruits exotiques, les enfants recherchent les régions du monde où ces fruits sont cultivés et découvrent les conditions climatiques nécessaires à leur croissance. Ils peuvent aussi associer des recettes culinaires à des cultures spécifiques, intégrant ainsi des notions de géographie et de culture.

Jusqu’en 2e secondaire, l'association est centrale dans le cours d'association, qui combine l'histoire et la géographie. Ce cours permet de comprendre les événements historiques dans leur contexte géographique. Par exemple, lors de l'étude des grandes explorations, les élèves commencent par observer des cartes anciennes et des récits de voyage. Ensuite, ils associent ces observations à des connaissances historiques sur les motivations économiques et politiques des explorateurs. Ils peuvent aussi créer des cartes annotées pour visualiser les routes prises et les découvertes faites, intégrant ainsi des compétences cartographiques et historiques.

Au secondaire supérieur, l'association se complexifie et devient plus analytique. Dans les cours de sciences humaines, les élèves peuvent mener des projets de recherche qui combinent des données historiques et géographiques. Par exemple, lors de l'étude des révolutions industrielles, ils peuvent associer les innovations technologiques à leurs impacts géographiques et sociaux. Ils commencent par observer des documents historiques, comme des plans de machines ou des photographies d'usines, puis associent ces observations à des analyses sur les changements économiques et urbains.

L'association, en reliant les nouvelles connaissances à des contextes et des savoirs préexistants, rend l'apprentissage plus riche et plus pertinent. Cela permet aux élèves de développer une compréhension interdisciplinaire et holistique de leur environnement.

Nous arrivons maintenant à la troisième faculté fondamentale de la pédagogie Decroly : l'expression. Il est essentiel que les élèves aient la possibilité d’exprimer, donc de communiquer et de partager ce qu'ils ont appris. L'expression peut prendre de nombreuses formes, que ce soit à travers le langage, l'art, le mouvement, ou d'autres moyens créatifs. Elle permet non seulement de consolider les connaissances, mais aussi de développer des compétences en communication et en créativité.

L'expression intervient tout au long du processus d'apprentissage. Elle peut être verbale, graphique ou concrète, et est toujours personnalisée et progressivement affinée. Les élèves expriment leurs observations et leurs associations à travers des discussions, des dessins, des écrits, et d'autres formes de communication. Cette expression est essentielle pour la réflexion collective et individuelle, et elle permet de renforcer et de clarifier les idées.

À l'école Decroly, l'expression est encouragée à tous les niveaux scolaires, voici quelques exemples concrets de cette pratique.

Dès la maternelle, les enfants sont encouragés à s'exprimer à travers le dessin, le jeu et la parole. Après une observation ou une activité d'association, les enseignants peuvent demander aux enfants de dessiner ce qu'ils ont vu ou appris. Par exemple, après avoir observé des animaux dans un zoo, les enfants peuvent dessiner leurs animaux préférés et expliquer pourquoi ils les ont choisis. Ces dessins sont souvent affichés dans la classe, permettant aux enfants de partager leur travail avec leurs camarades et de développer leur confiance en eux.

En primaire, l'expression prend des formes plus variées. Une des activités phares est la réalisation de causeries. Chaque année, chaque élève prépare et présente une causerie sur un sujet de son choix. C'est une occasion fantastique de développer des compétences en communication et de partager ses centres d'intérêt avec la classe. Je me souviens encore des causeries que j'ai présentées sur des sujets comme les abeilles et les castors. Cela m'a non seulement permis de me plonger dans des sujets qui me passionnaient, mais aussi d'apprendre à structurer mes idées, à parler en public et à réaliser un panneau clair et illustratif pour partager mes connaissances.

Au secondaire inférieur, les élèves continuent à faire des causeries, souvent en groupe et sur des sujets liés aux cours. Par exemple, lors d'un chapitre sur les maladies, chaque groupe de la classe a présenté un type de maladie. Les autres élèves prenaient des notes, qui constituaient ensuite le cours de chaque élève. Cela permet de développer des compétences de recherche, de collaboration et de synthèse d'informations, tout en enrichissant le contenu des cours grâce à une participation active de tous les élèves.

Au secondaire supérieur, l'expression devient plus critique et analytique. Les élèves sont souvent amenés à rédiger des essais, des rapports de recherche, ou à faire des présentations sur des sujets complexes. Par exemple, après une étude approfondie d'un phénomène scientifique, ils peuvent rédiger un article ou créer une vidéo documentaire expliquant leurs découvertes. Ils peuvent aussi participer à des débats sur des questions sociales, politiques ou environnementales, développant ainsi leurs compétences argumentatives et leur capacité à exprimer des idées de manière claire et convaincante.

Un exemple concret de projet d’expression qui a lieu chaque année, de la maternelle au secondaire supérieur, est la création et la présentation d’une pièce de théâtre par chaque classe. Pendant deux semaines décloisonnées, il n'y a pas de cours traditionnels ; les enseignants et les élèves se consacrent entièrement à la création de la pièce. Sauf exception, il s’agit d’une création originale de la classe. Chaque élève est impliqué, que ce soit en jouant un rôle, en rédigeant le script, en créant les décors, ou en gérant la lumière et le son. Les pièces sont présentées aux autres classes, offrant une expérience riche et collective d'expression artistique.

L'expression, en offrant aux élèves des moyens variés de communiquer et de partager leurs apprentissages, renforce leur confiance en eux et leur créativité, tout en consolidant les connaissances acquises.

La pédagogie Decroly est profondément interdisciplinaire. En primaire, les activités ne sont pas cloisonnées en cours séparés, ce qui permet aux élèves de prendre conscience des spécificités de chaque discipline petit à petit.

Au secondaire inférieur, les cours sont organisés de manière coordonnée autour du centre d’intérêt de l’année en cours, autant que possible. Les cours de sciences et de mathématiques sont regroupés sous l’appellation "Observation-Mesure" en raison de l'importance de l'observation dans ces disciplines, alors que les cours d’histoire et géographie sont regroupés dans le cours d’”association”. Il y a quelques années encore, le cours d’OM et d’association était donné par un seul et même enseignant, ce qui n’est malheureusement plus possible dernièrement à cause de la réforme des titres et fonctions. Cela permettait de maximiser l’interdisciplinarité, mais les contraintes imposées à toutes les écoles limitent de plus en plus cette possibilité, et ce que j’ai vécu en tant qu’élève il y a une vingtaine d’année n’est déjà plus tout à fait possible de nos jours.

L'école Decroly se caractérise par l'interaction de tous les apprentissages autour d'idées-pivots, ou centres d'intérêt, correspondant aux besoins bio-psychiques de l’enfant. Dès le Petit Jardin d’Enfants, des sujets d'intérêts générés par la pratique de la surprise, sont à la base de l’activité quotidienne. Ces centres d’intérêt permettent de structurer l'apprentissage de manière globale, en partant d'objets concrets et en évoluant vers une compréhension plus abstraite.

Du Petit Jardin d’Enfants à la 2ème Primaire : La Surprise

De 3 à 8 ans, la fonction d'observation s'exerce sur la surprise, un apport personnel spontané de l'enfant qui suscite l'investigation, la manipulation et l'exploration. L’enfant trouve un objet qui éveille sa curiosité et dialogue avec ses pairs à ce sujet. En classe, la surprise est souvent découverte collectivement, sollicitant toutes les démarches perceptives et sensorielles des enfants. Cette phase est suivie par l'expression des observations, la confrontation des hypothèses et la mise en œuvre d'expérimentations et de projets.

De la 3ème à la 9ème : Centres d’intérêt et plan de travail

À partir de 7-8 ans, les enfants commencent à travailler sur des centres d’intérêt définis par Ovide Decroly, qui répondent aux besoins naturels de l’enfant. Chaque année, un centre d’intérêt est choisi par l’école et sert de fil conducteur pour l’acquisition des savoirs et des compétences. Les centres d’intérêt sont : je me nourris, je me protège, je travaille, et je me défends. En secondaire inférieur, les thèmes sont regroupés par deux lors de la 7e et 8e année : alimentation et travail une année, protection et défense l’autre année. En 9e, le thème unique est "Sociétés". Ces thèmes assurent la coordination des différents cours et élargissent les intérêts des élèves à une prise de conscience des intérêts collectifs.

À partir de la 10ème

Durant les trois dernières années du secondaire, chaque cours suit sa propre ligne directrice. Les sciences sont organisées autour de thèmes pour préserver l'interdisciplinarité entre chimie, biologie, physique et mathématique autant que possible, surtout en sciences de base. L’histoire adopte une démarche chronologique, et le français inclut l’étude systématique de l’histoire littéraire. Les options prennent de plus en plus de place, mais les classes de tronc commun restent hétérogènes pour préserver l'apport social.

La pédagogie Decroly, avec son approche interdisciplinaire et ses centres d’intérêt, permet aux élèves de développer une compréhension holistique et intégrée du monde, en partant de l’observation, en passant par l’association, et en s'exprimant de manière personnelle et collective.

Passons maintenant à un autre aspect clé de la pédagogie Decroly : la vie en collectivité. Dans ce cadre, l'école ne se contente pas d'enseigner des connaissances académiques, elle vise également à former des individus responsables, autonomes et capables de vivre en harmonie avec les autres. La vie en collectivité est intégrée dans le quotidien scolaire à travers diverses activités et pratiques.

Dès la maternelle, les enfants apprennent à vivre ensemble et à respecter les règles de la vie en groupe. Les activités de groupe, comme les jeux coopératifs et les projets communs, leur enseignent l'importance de l'entraide et de la solidarité.

En primaire, les élèves participent activement à la gestion de la classe. Chaque élève peut exprimer ses idées et ses préoccupations. Ils apprennent à débattre, à argumenter et à prendre des décisions collectives. Un exemple concret est la mise en place de projets communs où les élèves doivent collaborer, comme l'organisation d'une activité pour la fête de l'école. Ces activités renforcent le sens de la responsabilité et l'esprit de coopération.

Des charges sont attribuées aux élèves afin de participer à la vie de la classe. Ce sont les élèves qui sont responsables, par exemple, de la distribution de documents, de la propreté du local ou du tableau.

En secondaire, les élèves continuent à développer leur autonomie et leur sens des responsabilités. Les élèves sont impliqués dans des projets plus ambitieux, comme des actions de solidarité ou des projets environnementaux. Les élèves apprennent également à gérer des conflits de manière constructive et à travailler en équipe sur des projets interdisciplinaires.

Dès la primaire, les élèves sont également invité à élire des délégués de classe qui se réunissent régulièrement, participent à la vie de l’école et peuvent participer à des prises de décisions importantes concernant le fonctionnement de l'établissement. Ces responsabilités leur permettent de développer des compétences de leadership et de gestion.

En intégrant la vie en collectivité dans le programme scolaire, la pédagogie Decroly forme des individus capables de s'adapter et de contribuer positivement à la société. Elle encourage le respect, la coopération et le sens des responsabilités, des qualités essentielles pour vivre en harmonie avec les autres.

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